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inconséquente, demeurait-elle la plupart du temps sans influence sur les décisions de l’Académie : tandis que par les formes toujours mesurées de son langage ; par la prudence de ses avis, par l’habile usage quai savait faire en toute occasion du crédit attaché à sa haute situation personnelle, Gérard exerçait sur ses confrères une autorité d’autant plus sûre qu’il évitait plus soigneusement de l’afficher.

En outre, et fort contrairement à Gros, Gérard avait toutes les aptitudes et il avait eu de bonne heure toute l’expérience d’un homme du monde, dans le sens le moins frivole du mot. Même avant que son salon fût devenu ce qu’il devait être pendant trente ans, un centre où se réunissaient chaque semaine à jour fixe les personnages les plus éminens par leurs talens dans tous les genres, les plus considérables par la naissance ou par le rang auquel ils s’étaient élevés[1], celui qu’on appelait un peu fastueusement, « le peintre des rois et le roi des peintres » avait réussi, à force de tact et d’esprit de conduite, à acquérir comme homme une importance presque égale à la réputation que lui avaient value ses travaux d’artiste. Et pourtant les obstacles, — et des obstacles en apparence insurmontables, — n’avaient pas manqué pour entraver cette marche de Gérard à la conquête de tous les succès et de tous les honneurs. A l’époque par exemple où Louis XVIII rétablissait le titre de « premier peintre du roi » avec l’intention de le conférer à Gérard, certaines gens à la cour s’étaient hâtés de crier au scandale et d’invoquer, comme une objection sans réplique, les antécédens « politiques » du candidat. Celui-ci, en célébrant jadis dans une composition sur le Dix-Août le triomphe de l’insurrection qui avait chassé Louis XVI des Tuileries, ne s’était-il pas rendu coupable à sa manière du crime de lèse-majesté ? Bien plus : n’avait-il pas, au temps de la Terreur, fait partie comme juré du tribunal révolutionnaire et accepté ainsi, disait-on, l’abominable rôle d’un auxiliaire de Fouquier-Tinville ? Enfin, on allait jusqu’à l’accuser formellement d’avoir voté la mort de la reine Marie-Antoinette. C’était là une pure calomnie puisque Gérard n’avait pas même assisté à ce lamentable procès ; quant au reste, si tout n’était pas strictement exact, rien du moins n’était complètement erroné.

Gérard, en effet, dans un dessin très remarqué au moment où il parut, avait retracé la scène dont l’assemblée législative avait été le théâtre, le 10 août 1792 ; il avait représenté le roi et la famille

  1. « On a souvent entretenu le public du salon de Gérard, écrivait M. Charles Lenormant, en 1846, dans le Correspondant… C’était une création admirable et presque une institution pour les arts que ce rendez-vous de toute l’Europe, où la plus exquise politesse ne servait qu’à mieux faire constater la royale indépendance de l’artiste qui se maintient dans son domaine. »