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royale relégués et déjà captifs dans la loge du journal le Logographe, mais, quoi qu’on en ait dit, sans donner pour son propre compte à cette image du fait le caractère d’un outrage à d’augustes victimes[1]. Il est également vrai qu’il avait été, en 1793, appelé aux fonctions de juré près le tribunal révolutionnaire ; mais ces sinistres fonctions, qu’il n’avait certes pas sollicitées, qui lui avaient été au contraire imposées par David, son maître, comme l’unique moyen pour lui d’échapper à la réquisition militaire dans laquelle il venait d’être compris, ne s’était-il pas soustrait comme il avait pu à l’obligation de les remplir ? Tantôt une maladie feinte dont il obtenait à grand’peine la constatation officielle de la complaisance ou de la naïveté des médecins, tantôt les suites d’une prétendue chute qui le condamnaient à ne marcher qu’avec des béquilles[2], lui avaient servi de prétextes pour se dispenser de paraître aux séances de l’odieux tribunal. Dans deux occasions pourtant, il lui arriva de siéger parmi les jurés et de participer aux jugemens rendus ; mais, — les procès-verbaux en faisaient foi, — ces jugemens concluaient l’un et l’autre à l’acquittement des prévenus.

Gérard se devait à lui-même de réfuter une fois pour toutes les accusations dont il était l’objet. C’est ce qu’il fit avec autant de précision que de dignité dans un mémoire qui fut mis sous les yeux du roi et dont celui-ci approuva si hautement les termes que les meneurs de la campagne entreprise durent, au moins par prudence, s’arrêter court et désarmer. Le mémoire se terminait par ces mots : « Les hommes qui me connaissent depuis longtemps et qui sans doute auront apprécié mes opinions et mes principes, peuvent dire dans quels sentimens j’ai vu arriver l’époque de la Restauration… Me sera-t-il permis d’ajouter que cet événement mémorable m’a présenté des chances aussi flatteuses pour mon amour-propre que favorables à ma tranquillité ? »

Il est clair en effet qu’on eût été mal venu à traiter après coup en ennemi un homme aux talens duquel, dès les premiers jours de

  1. On a prétendu et l’on répète encore quelquefois que, dans ce dessin, Louis XVI était représenté mangeant gloutonnement, tandis que les membres de l’assemblée délibèrent sur sa déchéance. Rien de plus faux, comme on peut s’en convaincre en jetant les yeux sur le fac-similé de la composition dont il s’agit dans le tome III du recueil intitulé : Œuvres du baron Gérard ; Paris, 1852-1857.
  2. Mme de Wailly, au temps où elle était devenue comtesse de Fourcroy, racontait qu’un jour, en 1793, elle se trouvait dans un des escaliers du Louvre, à quelque distance de Gérard. Celui-ci, se croyant seul, montait lestement devant elle, ses béquilles sous le bras. Tout à coup, le faux impotent se retourne, et, à la vue d’un témoin qui peut-être dénoncerait sa ruse, il s’arrête, effrayé : « Rassurez-vous, lui dit Mme de Wailly en le rejoignant, je ne vous trahirai pas ; mais une autre fois, jouez donc mieux votre rôle. »