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LA TREBBIA.


Recentis animi Sempronius, eoque ferocier,
TITE-LIVE.

L’aube d’un jour sinistre a blanchi les hauteurs.
Le camp s’éveille. En bas, roule et gronde le fleuve
Où l’escadron léger des Numides s’abreuve.
Partout sonne l’appel clair des buccinateurs.

Car malgré Scipion, les augures menteurs,
La Trebbia débordée, et qu’il vente et qu’il pleuve,
Sempronius Consul, lier de sa gloire neuve,
A fait lever la hache et marcher les licteurs.

Rougissant le ciel noir de flamboîmens lugubres,
A l’horizon, brûlaient les villages Insubres ;
On entendait au loin barrir un éléphant.

Et, là-bas, sous le pont, adossé contre une arche,
Hannibal écoutait, pensif et triomphant,
Le sourd piétinement des légions en marche.


APRÈS CANNES.


Augebant metum prodigia.
TITE-LIVE.

Un des Consuls est mort, l’autre fuit vers Linterne
Ou Vénuse. L’Aufide a reflué, trop plein
De nos cadavres. La foudre au Capitolin
Tombe, le bronze sue et le ciel rouge est terne.

En vain le Grand Pontife a fait un lectisterne
Et consulté deux fois l’oracle sibyllin ;
D’un long sanglot, l’aïeul, la veuve et l’orphelin
Emplissent Rome en deuil que la terreur consterne.

Et chaque soir, la foule allait aux aqueducs ;
Plèbe, esclaves, enfans, femmes, vieillards caducs
Et tout ce que vomit Subure et l’ergastule ;

Tous anxieux de voir surgir au dos vermeil
Des monts Sabins où luit l’œil sanglant du soleil,
Le Chef borgne monté sur l’éléphant Gétule.