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S’il y avait des saints laïques, de tels bienfaiteurs devraient être canonisés[1].

La description des établissemens secourables installés dans le département de Seine-et-Oise ne peut entrer dans notre cadre ; il suffit de les avoir indiqués avant d’arriver à l’objet principal de cette étude ; la simple énumération démontre que nulle misère n’a échappé à la sollicitude des frères Galignani. Grâce à eux, pour la première fois depuis que l’on fait des fondations charitables, on a pensé aux lettrés, à ceux que le langage prétentieux des professions de foi des candidatures législatives de l’année 1848 nommait « les ouvriers de la pensée, » afin de ne rien envier aux ouvriers référendaires à la cour des comptes ou aux ouvriers avocats à la cour de cassation. La mode était alors à ces sornettes. Passons ; nous en avons vu et nous en verrons bien d’autres. Au cours de leur existence, au bureau de rédaction de leur journal, à leur librairie, dans leurs relations quotidiennes avec les écrivains, les artistes, les libraires, les imprimeurs, ils avaient été souvent frappés de la mauvaise fortune à laquelle de telles professions sont exposées. Ils avaient été les témoins de luttes parfois stériles et prolongées. Sans doute, ils avaient reçu des confidences, écouté des plaintes et y avaient libéralement compati. Ils avaient reconnu que ce n’est pas toujours celui qui a semé le blé qui en retire la plus grosse mouture. L’injustice blesse les cœurs généreux, aussi avaient-ils conservé de ceux qui avaient été, en quelque sorte, leurs collaborateurs, un souvenir de commisération d’où naquit l’œuvre à laquelle leur nom reste désormais attaché.

William Galignani survécut à son frère ; mais j’imagine que, dans l’intimité de leurs causeries, ils avaient assez fréquemment échangé leurs opinions pour savoir, l’un et l’autre, quelles devaient être leurs volontés dernières et comment elles seraient formulées pour venir au secours des infortunes qu’ils avaient côtoyées et soulagées. Ce fut donc William qui rédigea le testament holographe prescrivant les bonnes actions auxquelles il associait le nom de son frère, comme si celui-ci, encore vivant, eût été près de lui pour dicter l’expression de ses intentions suprêmes. Elles sont fort belles, ces dispositions, à la fois larges et prévoyantes, empreintes d’humanité et animées, — sans que le mot soit prononcé, — d’un souffle de gratitude pour ceux dont ils avaient utilisé le talent ou l’industrie. William Galignani avait gardé le secret de sa bienfaisance, qui ne fut dévoilé qu’après son décès, survenu

  1. L’inauguration solennelle du monument consacré à la mémoire des frères Galignani a eu lieu à Corbeil le dimanche 12 août 1888.