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d’ordinaire, mais jouant l’indignation pour la circonstance, relève une critique si peu sévère et en prend occasion pour tracer au ministre lui-même le portrait assez fidèle, bien que tiré au noir, des résultats de sa politique :

« Se contenter de n’être pas mal avec l’Espagne, monsieur, permettez-moi de vous le dire, il faut être bien avec quelqu’un ; et avec qui serons-nous bien à la fin de cette guerre ? Elle finira par l’établissement d’une nouvelle maison d’Autriche, plus puissante que la première, malgré les démembremens de la Silésie et de Plaisance, plus engagée à nous haïr que la première, parce que celle-ci n’oubliera jamais que nous avons voulu l’étouffer dans son berceau… De plus, cette ancienne maison d’Autriche se sentait de la vieillesse, et depuis que Charles VI était sans espérance d’enfans mâles, nous regardions ce colosse comme prêt à tomber et à mettre en pièces : aujourd’hui, le sauvageon qui a été enté sur ce vieil arbre a produit une plante nouvelle plus ferme et plus vigoureuse que l’ancienne et qui portera des fruits encore plus amers pour nous. Dans le nord, nous restons plutôt avec des connaissances qu’avec des amis, connaissances qui nous coûtent notre argent et dont le plus grand fruit que nous tirerons sera de n’être pas nos ennemis. L’amitié du roi de Prusse, nous savons ce que c’est : il nous hait foncièrement, il ne voudra pas qu’on nous fasse l’espèce de mal qui pourrait retomber sur lui ; mais il verra fort tranquillement tous les autres nous arriver. L’Espagne, monsieur, vous n’avez que l’Espagne. »

Il s’évertue ensuite à démontrer que, loin de faire des sacrifices exagérés pour l’Espagne, la France n’avait écouté et suivi que son intérêt en cherchant à étendre en Italie le domaine de la maison de Bourbon, aux dépens de celle d’Autriche. — « Ne nous flattons pas, dit-il, qu’on ait cru ici un seul instant que nous étions inspirés par le pur amour… Nous n’aurions pas beau jeu à faire valoir à l’Espagne ce que nous avons fait pour elle, et la protection que nous lui avons accordée ne doit pas nous faire craindre l’anathème qui vous effrayait lorsque, en prenant le style qui conviendrait davantage à mon état d’évêque, vous m’avez écrit : « Si nous voulons ainsi tourmenter nos voisins, nous déplairons à Dieu et aux hommes. » — Enfin, pour ne rien épargner et toucher le signataire du traité de Turin au point le plus sensible et encore saignant de son amour-propre, il rappelle qu’on n’avait jamais rien retiré d’aucune avance faite à la maison de Savoie, sinon le ridicule d’être dupe de ses finesses et de servir d’instrument à son astucieuse ambition, — « Voilà, monsieur, le point sur lequel j’ai un système fixe et qui, bien loin d’être ébranlé par tout ce que je vois et entends, est, au contraire, confirmé davantage. C’est qu’en Europe il