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prenait philosophiquement son parti d’avoir à terminer sa vie dans l’aisance, en liberté, sans souci du lendemain et avec tous les soins que peut exiger la vieillesse. Des pensionnaires se sont rappelé le vieux refrain :


Unissons nos deux infortunes,
Nous en ferons peut-être du bonheur.


On a chanté : « Hyménée ! hyménée ! » et un mariage a été conclu auquel nous souhaitons toute prospérité ; mariage de raison, mariage d’inclination ? Je ne sais ; mais mariage civil et mariage religieux, comme il convient entre gens de bonne compagnie. Je ne crois pas que les pensionnaires se soient divisés en coteries, comme cela se voit trop fréquemment dans les maisons de vie en commun ; j’imagine plutôt que, tout en conservant des préférences, l’on fraie sans peine les uns avec les autres, sans morgue et sans distinction d’origine. Cela tient certainement à la liberté dont on jouit, aux sorties fréquentes, aux visites que l’on reçoit, ce qui constitue une sorte de renouvellement dans les relations et permet d’échapper à un contact permanent dont on se fatigue vite. C’est là l’inconvénient majeur des maisons hospitalières trop cloîtrées, dont la porte ne s’ouvre qu’une fois par semaine. On y a rapidement épuisé les ressources de fréquentations, qui sont toujours les mêmes ; l’arrivée d’un nouveau est un événement : on le recherche, on le choie, car il apporte une distraction dont on sera promptement lassé ; on finit par se cantonner dans de petits groupes, où l’on devient exclusif, souvent médisant et parfois hargneux. A la maison Galignani, rien de semblable : les soixante-huit femmes et les trente-deux hommes qui l’habitent sont tous des personnes qui, à des degrés différens, ont reçu de l’éducation ; elles savent ce que l’on se doit entre bons voisins et sont assez instruites pour trouver plaisir à causer entre elles. Cependant, j’ai cru remarquer que la plupart des pensionnaires avaient quelque tendance à l’isolement ; cela ne m’a pas étonné, car ce fait se produit souvent chez les hommes pour qui la vie n’a pas eu de clémence. On n’est réellement réuni qu’en vertu du règlement, qui ramène à heure fixe tous les pensionnaires autour des tables de marbre blanc dans la salle à manger. Le salon, qui est un lieu de relations communes, est presque constamment vide dans le courant de la journée. Le soir, il est rare qu’il contienne plus de vingt personnes ; parfois l’on peut en compter trente, mais le cas est exceptionnel. Les autres, c’est-à-dire les deux tiers de la population normale de la maison,