Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obligation avec quelque largeur et elle a inscrit, à l’article 13 du règlement, la clause libérale que voici : « L’administration, s’inspirant des volontés du fondateur, choisit de préférence, pour occuper les chambres payantes, des personnes se trouvant dans les conditions professionnelles exigées pour les chambres gratuites. » Ce « de préférence » ne me déplaît pas ; il entr’ouvre la porte à des infortunes qui, pour n’avoir point frappé des artistes, des libraires, des imprimeurs ou des écrivains, n’en sont pas moins dignes d’être accueillies dans le port où viennent aborder les naufragés des arts, des lettres et de la typographie. Si donc l’on rencontre, parmi les pensionnaires, quelque personne ayant représenté les intérêts de la France à l’étranger ou sortie du monde des offices ministériels, loin d’en être surpris, il convient d’y applaudir.

J’ai sous les yeux la liste des habitans de la maison du boulevard Bineau ; je n’en citerai aucun, si ce n’est, tout à l’heure, celui qui m’y a autorisé. Parmi les femmes, j’en trouve qui ont manié la plume, le pinceau et le burin ; la plupart appartiennent par alliance, par liens de parenté directe ou collatérale, à des familles dont un membre a su se faire un nom connu et parfois célèbre ; plus d’une a été institutrice, plusieurs sont de la Société des gens de lettres ; toutes ont eu leurs heures de satisfaction personnelle, de gloriole et d’hommages. Plaise à Dieu qu’elles soient résignées aujourd’hui et qu’elles ne regrettent pas trop le temps où la vie murmurait à leurs oreilles des promesses que l’adversité a démenties. Quelques-unes, ayant à peine atteint l’âge réglementaire, se montrent très vaillantes, d’esprit alerte et de conception rapide. Au repos, sans souci des besoins matériels, elles sont de loisir ; qu’elles en profitent pour écrire leurs souvenirs avec sincérité, il en pourra résulter un livre qui servirait de sérieux enseignement à celles que solliciterait ce que Bernardin de Saint-Pierre appelle la carrière orageuse des lettres.

Le nom de certains hommes est pour étonner ; il faut que la fortune adverse se soit acharnée contre eux pour ne leur avoir pas apporté ce bien-être de l’aisance, cette aurea mediocritas que leur science, leur talent, auraient dû leur assurer. Que leur a-t-il donc manqué ? Aux uns, la bonne tenue extérieure, qui est peut-être plus importante que les facultés supérieures pour faire son chemin dans le monde ; aux autres, la prévoyance, qui épargne et prépare les ressources de la vieillesse. Ce n’est pas toujours la cigale qui chante en la belle saison et qui se trouve dépourvue lorsque la bise est venue. Le savoir de plus d’un pensionnaire a été profond et est resté intact ; les problèmes d’Euler, les propositions d’Euclide ne sont