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n’y a pas une cour plus foncièrement ennemie de la France que celle de Savoie, qu’il ne lui manque que des forces pour se déclarer à l’égal de celle de Londres et de Vienne : sa médiocrité l’oblige à des finesses, à des faussetés, à des apparences de bonne volonté ; mais toutes ces singeries aboutissent toujours à des désertions éclatantes ou à des trahisons couvertes qui, souvent, sont pires que des hostilités déclarées. Voilà, monsieur, notre ennemi radical, qui, depuis deux cents ans, n’a rien gagné qu’aux dépens de la France. Voilà le favori constant du plus puissant et du plus irréconciliable de nos ennemis, qui est l’Angleterre. Je ne vous dissimulerai donc point que, lorsque vous dites que la crainte qu’on voudrait avoir d’un duc de Savoie, fût-il roi de toute la Lombardie, serait une crainte ridicule, jamais je ne serai de votre avis… J’étais fâché, l’année passée, de prévoir que l’établissement de l’infant coûterait au roi toutes ses conquêtes ; mais, du moins, l’honneur était en quelque sorte satisfait par les avantages d’un prince gendre du roi : aujourd’hui, vous me faites pressentir une paix sans que le roi garde aucune de ses conquêtes et sans établissement de l’infant ; j’en suis effrayé, je vous l’avoue, et pour l’honneur et pour l’intérêt : ces deux motifs me font regarder une telle paix comme peu honorable pour le roi, et peu digne d’un ministre tel que vous. » — La conclusion est que, dans l’abandon où est tombée la France, et avec la facilité qu’a l’Espagne de se jeter dans les bras de l’Angleterre, il faut tout faire pour garder son alliance. — « Par là, dit l’évêque en finissant, je ne vous propose pas une conquête facile ni une maîtresse sans humeur ; il vous en coûtera des soucis, des peines, des sacrifices ; vous essuierez des dégoûts, ceux qui seront chargés ici des ordres du roi auront besoin de beaucoup de patience, de dextérité et de persévérance ; il faudra souffrir tout cela. La raison est qu’elle trouvera autant d’alliés qu’elle voudra et que nous ne trouvons qu’elle sur qui nous puissions compter. »

Ainsi vertement interpellé, d’Argenson répondit avec une bonne humeur aimable, signe de cette élévation d’âme désintéressée qu’on retrouvait toujours quand sa personne seule, non ses convictions ou ses illusions, était en jeu. — « Je vois avec grand’ peine, monsieur, dans vos lettres, que vous cherchez dans les miennes la lettre plutôt que l’esprit, et vous avez pris beaucoup de peine pour y découvrir des absurdités désobligeantes. Content de vos recherches, vous auriez mieux fait de justifier votre cour que de l’inculper et de moins justifier la façon de penser des Espagnols… Mais pourvu que vous vous plaisiez en Espagne, votre œuvre sera accomplie. Dites-moi ce qu’il vous faudrait pour y être mieux… Nous ne vous parlerons plus de négociation avec Turin… Le roi est également lassé des petites finesses (du roi de Sardaigne)