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sont les plus stables et quels sont les plus instables ? Les caractères les plus stables sont les plus anciens, qui sont aussi les moins élevés, les plus rudimentaires, les plus voisins de l’état sauvage ; et ces mêmes caractères sont aussi ceux qui ont le plus de stabilité chez l’individu. Sur quoi donc l’éducation doit-elle porter son effort ? Sur ce qui est à la fois le plus élevé et le plus instable, par conséquent sur les sentimens les plus désintéressés et les plus généraux, sur les idées les plus philosophiques, les plus morales, les plus esthétiques. Le reste viendra de soi. L’éducation doit cultiver les facultés les plus hautes et les plus récemment développées dans l’espèce par la sélection : elle n’a d’autre but que de leur donner une fixité et une solidité plus grandes. Elle doit civiliser ces petits sauvages qu’on nomme les enfans et préparer en même temps une sélection nouvelle an profit des meilleurs.

Les facultés vraiment désintéressées et humaines, celles qui doivent être « triées » parmi toutes les autres, sont : l’amour de la vérité pour elle-même, l’amour du beau, l’amour du bien universel ; ce sont donc celles que l’éducation doit prendre pour principal objet, afin de conserver et d’accroître chez l’homme ce qui le sépare le plus de l’animal.

De plus, entre ces trois facultés il y a une hiérarchie, un ordre d’évolution tout ensemble et de prééminence. La priorité appartient au sentiment moral, qui est le plus essentiel pour l’individu et pour la société. C’est aussi celui que l’éducation de la famille développe le premier chez l’enfant, sous les formes de l’affection et de l’obéissance. Les anciens, avec raison, ne séparaient point le bien du beau, plus sensible au cœur et plus à la portée de la jeunesse que la vérité abstraite ; le beau doit être le second objet de l’éducation. L’enfant d’ailleurs, selon la remarque de Vico, ne peut qu’aller de l’imagination à la raison. Enfin il importe de développer, sinon chez l’enfant, du moins chez le jeune homme, l’amour et la recherche de la vérité scientifique, qui est le troisième objet de l’éducation. Nous ne saurions admettre, avec M. Renan, que la science soit supérieure à la moralité pour le genre humain, que la découverte d’un fait ou d’une loi surpasse en fécondité sociale l’accomplissement du devoir, que le génie soit au-dessus de la vertu. Les sentimens de justice et de sympathie sont le lien même qui retient unis les divers membres de corps social : ils en font la vie. Une société d’ignorans qui pratiqueraient les vertus privées et publiques serait viable et pourrait encore être heureuse ; une société de savans sans moralité ne pourrait ; subsister et serait malheureuse. La moralité n’est pas moins nécessaire au progrès qu’à la conservation des sociétés, qui n’avancent et ne l’emportent sur les autres