Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/591

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

placer l’éducation morale bien au-dessus de l’instruction purement intellectuelle et scientifique.

Ce qui est vrai d’une armée est vrai de la nation entière : tout peuple qui se divise, qui se désorganise, qui s’individualise à l’excès, devient une poussière d’hommes ; un tourbillon l’emporte. L’empereur Frédéric III, au début de son règne, écrivait à M. de Bismarck : — « Je considère que la question des soins à donner à l’éducation de la jeunesse est intimement liée aux questions sociales. Une éducation plus haute doit être rendue accessible à des couches de plus en plus étendues, mais on devra éviter qu’une demi-instruction ne vienne à créer de graves dangers, qu’elle ne fasse naître des prétentions d’existence que les forces économiques de la nation ne sauraient satisfaire. Il faut également éviter qu’à force de chercher exclusivement à accroître l’instruction, on n’en vienne à négliger la mission éducatrice. » La question pédagogique finit en effet par se confondre non-seulement avec la question politique, intérieure et extérieure, mais encore avec la question sociale. Les Allemands le comprennent mieux encore que les autres peuples, parce que, chez eux, le danger est plus pressant. L’accroissement des nations et des races par le flot montant de la population est, pour les sociétés modernes, un élément de force intérieure et d’expansion extérieure, mais il les menace aussi de perturbations profondes. En Allemagne, le nombre des suffrages socialistes depuis 1881 s’est élevé de 311,000 à 800,000 en 1887 et à un million et demi en 1890. « Quand l’Allemagne, disait un des chefs du parti au Reichstag, comptera 60 millions d’habitans, par le simple effet du suffrage universel, le gouvernement passera aux mains des ouvriers. » Or, tandis que notre population demeure stationnaire et comparativement décroît, la race allemande s’accroît par année de plus d’un demi-million d’habitans : une progression régulière indique le nombre de 170 millions d’habitans pour l’Allemagne vers la fin du XXe siècle. Le socialisme toujours croissant chez nos voisins peut arriver au pouvoir dès le début du prochain siècle et disposer des forces militaires de l’Allemagne ; on voit l’invasion qui pourrait menacer du dehors notre race et notre société françaises, en même temps qu’elle-même est menacée par le dedans d’une semblable invasion. On a dit avec raison que la politique « de fer et de sang, » préconisée aujourd’hui par l’Allemagne entre les peuples, peut être un jour tout aussi légitimement invoquée entre les classes.


En résumé, il y a un double ensemble de forces que l’éducation doit entretenir : des forces de conservation et des forces de progrès. Les premières se maintiennent d’abord dans la race par