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songe que, six mois après, Puisieulx était installé au ministère comme successeur de d’Argenson, il faut reconnaître que jamais on ne convînt de meilleure grâce de s’être laissé jouer ; et tant de bonhomie désarme le critique[1].

La mission ainsi préparée répondit à ce qu’on pouvait en attendre : Puisieulx eut toute la docilité désirée, et, nommé pour avoir plu, n’eut garde de ne pas continuer à plaire. Annoncé, d’ailleurs, par les agens hollandais présens à Versailles comme l’homme de confiance d’un ministre dont ils n’avaient qu’à se louer, il fut reçu avec empressement par les magistrats de La Haye, qui, appartenant tous au parti républicain, faisaient, bien que timidement, des vœux pour la paix. On lui donna de bonnes paroles, qu’il prit ou fit mine de prendre au sérieux. On parut même très heureux de profiter de sa présence pour demander que le maréchal de Saxe mît moins de hâte à démolir les fortifications des villes des Pays-Bas dont il se rendait maître, puisque, la paix étant prochaine, elles étaient destinées à redevenir la barrière de la république. — « Bref, dit encore d’Argenson, il rendit le compte que je voulais pour réparer les impressions qu’avait données l’abbé de La Ville[2]. »

Son retour eut pourtant une conséquence que peut-être d’Argenson n’avait pas prévue. Ce fut d’avertir Wassenaer et Gillis que la prolongation de leur séjour à Versailles, dans une complète inaction, n’était vraiment plus possible, puisqu’on en était réduit à traiter en dehors d’eux et en quelque sorte au-dessus de leur tête. Ils tentèrent donc un sérieux effort pour obtenir du cabinet britannique, qu’au moins en apparence la négociation fît un pas, et, à force d’instances, ils eurent permission d’offrir qu’une conférence fût ouverte dans une ville neutre, où un plénipotentiaire anglais, venant se joindre à eux, interviendrait directement dans les transactions à débattre. A défaut d’autre avantage, sa présence aurait toujours celui d’épargner les allées et venues de messagers à travers la mer, et la longue attente des réponses.

D’Argenson accepta la proposition ; il croit que ce fut une faute d’État et se la reproche dans ses mémoires : il aurait dû penser, dit-il, que la présence d’un agent anglais rendrait les Hollandais moins accommodans. A mon sens, il s’accuse à tort. La vraie faute, c’était d’avoir permis aux envoyés d’un petit état, qu’on tenait à discrétion, de s’ériger en médiateurs de la paix européenne. C’était celle-là qu’il n’était plus temps de réparer. Mais, une fois qu’elle était commise, la Hollande ne pouvant servir que de porte-parole à

  1. Mémoires et Journal de d’Argenson, t. IV, p. 315-348.
  2. Mémoires et Journal de d’Argenson, I, c. Voir dans la correspondance de Hollande, juin 1740, les lettres de Puisieulx pendant sa mission secrète. — (Ministère des affaires étrangères.)