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les lettres des diphtongues ei, oi, ai, auxquelles on donnait ainsi la double sonorité de eï, oï, aï, on confondait les lettres douces avec leurs aspirées, t avec th, k avec kh ; on introduisait des sons, tels que celui d’eu dans le français odeur, sons qui n’ont jamais résonné à des oreilles athéniennes. Nos professeurs de grec, en dictant, sont obligés de dire s’il faut écrire kappa ou khi, au, o ou ô, et la facilité qu’ils gagnent est, en réalité, bien près d’être perdue.

Un défaut plus grand de la manière érasmienne, une forte preuve de ce qu’elle a de faux et d’arbitraire, c’est que chaque peuple prononce le grec et le latin à sa manière. Les Allemands prononcent les diphtongues grecques ai, ei comme les leurs dans des mots tels que fraulein, Main ; et ainsi pour beaucoup de voyelles et de consonnes grecques dont ils n’ont pas l’équivalent dans leur idiome. Les Français, non-seulement coupent arbitrairement les sons simples écrits en deux lettres, comme ei, ai, quoiqu’ils ne les coupent pas dans leur propre langue, et que sain ait dans leur bouche la même sonorité que sein et que seing, celle de sin par un i simple ; de plus, ils éliminent entièrement les nuances délicates de plusieurs consonnes, telles que le gamma, le delta, le thêta, qui ne sont point identiques à notre g, à notre d, à notre th ; ils font deux lettres avec une seule et prononcent ts (car tz est impossible) celle que les Hellènes ont de tout temps prononcée z : zèle devient tsêlos.

Les Anglais sont plus étonnans que les Français et les Allemands dans leur manière d’énoncer les mots grecs et les mots latins. Voici le premier vers de la première églogue de Virgile, récité à l’anglaise :


Taltiri, tiou pétioulé rikioubans seub tegmini fèdjai.


Seulement, il y a ici des nuances et des délicatesses que nos caractères français ne peuvent pas rendre et que je renonce à transcrire. C’est un objet d’étude bien curieux et vraiment intéressant pour ceux qui s’occupent de phonologie qu’un discours de Démosthène ou un récit de Xénophon dans la bouche d’un professeur anglais. Si vous les faites lire ensuite par un Allemand et par un Français, vous entendrez trois discours, trois récits différens. Et si vous obtenez d’un Hellène la même faveur, vous aurez une quatrième version, et vous en pourrez faire une collection aussi nombreuse qu’il y a sur terre de peuples parlant des idiomes différens. Du reste, les partisans du procédé érasmien n’ont pas même pu se mettre d’accord entre eux dans chaque pays ; ainsi, pour ne citer qu’un exemple, MM. Dietrich, Brugmann et Kauer ont trois façons différentes de prononcer ei ; c’est l’opinion de M. Dietrich qui se rapproche le plus de l’usage moderne ; il assimile le son de cette