Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les langues appartenant à la même famille ; que ces langues diffèrent surtout par leurs formes grammaticales et la sonorité de leurs élémens vocaux. Ces formes et ces élémens, ayant été fixés de bonne heure pour la langue grecque, n’ont pu depuis lors subir les changemens profonds qui auraient fait d’elle une autre langue. Il n’y a pas lieu de distinguer deux grecs, l’ancien et le moderne ; il n’y a qu’une langue grecque. S’il en était autrement, jamais les écrivains grecs de nos jours, jamais les journaux, les discours et les rapports politiques, les formules de lois, n’auraient pu venir au jour dans la forme où ils se présentent, c’est-à-dire dans un style qui les rapproche des écrits antérieurs à l’ère chrétienne. Tous les efforts de nos hommes instruits, de nos publicistes, de nos législateurs et de nos administrations, même en se concertant, ne feraient pas remonter le français vers sa source, au point de restaurer la langue latine. Les Hellènes n’ont point d’efforts à faire en ce sens ; pour bien écrire, il leur suffit de faire de bonnes études et de se régler sur les bons modèles ; la langue qu’ils écrivent ou qu’ils parlent devient par cela même la langue de l’antiquité classique. Ce qui s’opère chez eux, depuis qu’ils ont reconquis leur indépendance, ce n’est pas une œuvre de reconstitution, c’est un travail d’épuration.

N’est-il pas évident, par l’exemple des autres langues, que cette conservation du grec à travers les siècles et malgré le malheur des temps est liée au maintien de la prononciation ? Si les lettres avaient changé de valeur, les Hellènes auraient, comme les Français, les Italiens, les Espagnols, constitué une ou plusieurs langues nouvelles ; le terrain occupé par le monde hellénique dans la Méditerranée et ailleurs était assez vaste pour donner lieu à plusieurs idiomes nouveaux. Il n’a pas pu s’en produire, parce que d’année en année les mots de la langue et leur prononciation se conservaient.

Que devons-nous conclure de ce qui précède ? Nous en conclurons que le grec est une langue vivante et non une langue morte, comme les partisans du système érasmien s’efforcent de le faire croire. Sur ce point, le système manque de base et s’écroule sur lui-même. Nous n’en chercherons pas loin la preuve. J’ai sous les yeux un livre que vient de publier à Athènes M. C. Rados, docteur en droit ; c’est la traduction d’un volume sur l’histoire de la marine grecque, œuvre de l’amiral Jurien de la Gravière, dont les lecteurs de la Revue ont eu la primeur. Le livre est excellent ; la traduction ne l’est pas moins ; elle est écrite en excellent grec, c’est-à-dire dans une langue qui se rapproche beaucoup de l’ancienne langue classique, sans cesser pour cela d’être accessible à tous les Hellènes. La Réfutation du système érasmique par M.