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lorsqu’il descend sur la grève, les pieds dans la vague, et lorsque les fées amoureuses commencent à tournoyer autour de lui pour l’entraîner dans le gouffre, ces dames de la mer revêtent, dans son rêve, des formes moins uniformément dévêtues. Leurs attitudes peuvent être aussi séduisantes, mais d’une provocation moins académique et moins parisienne. Quoi qu’il en soit, il y a déjà bien du talent dans cette composition et c’est un grand progrès sur les Deux Perles de l’an dernier. M. Frank-Lamy apporte plus de chasteté, plus de délicatesse dans son culte de la beauté ; il tranche même, à cet égard, d’une façon louable, sur la plupart de ses camarades ; ce serait une aventure fâcheuse si, avec ces réelles qualités, il sombrait à son tour dans l’impondérable et dans l’impalpable. Rêve d’été, c’est ainsi qu’il désigne sa trop grande toile où l’on entrevoit sur un gazon blanchissant une jeune femme blanche jouant avec des colombes blanches ; plus loin, sur le bord d’un bois pâle, d’autres femmes, plus pâles encore, laissent à peine deviner leurs fines silhouettes dans l’horizon fuyant. Ce parti-pris d’effacement et d’atténuation est incompréhensible et désolant, car les poses sont naturelles, les formes élégantes, le sentiment poétique. De ce que les rêves sont courts, s’ensuit-il donc qu’ils soient forcément confus ou malsains, comme voudraient nous le faire croire les poètes cl les peintres contemporains ? La Divine Comédie est un rêve, le Songe d’une nuit d’été est un rêve ; est-il rien de plus précis, de plus vif, de plus ardent dans le détail que les vers de Dante et de Shakspeare ? Et l’Amour sacré et l’amour profane de Titien, et la Vision d’Ézéchiel de Raphaël, et l’Apparition à Tobie de Rembrandt, et la Psyché de Prud’hon, et l’Idylle de M. Henner, ne sont-ce pas des rêves ? ne sont-ce pas toujours, cependant, des formes solides, de la chair palpable, en un mot, de la peinture ? Que M. Frank-Lamy ne se laisse donc pas séduire par ces alanguissemens insupportables qui condamneront presque toute la peinture actuelle à un rapide oubli !

Que M. Fourié aussi se mette au dessin, qu’il dessine, qu’il dessine, jusqu’à ce qu’il ait pu assurer une anatomie solide à ses bacchans et bacchantes qu’il lance, avec tant de verve, dans un pré de Normandie, sous le grand soleil d’Eté. On se souvient des débuts de M. Fourié : un repas de paysans, en plein air, sous de grands arbres, par un temps chaud aussi, une très bonne étude réaliste, très inégale, très improvisée, mais bien observée, vivante, joyeuse, ensoleillée, brossée avec un bel entrain de jeunesse. Dans des figures habillées, l’inexpérience anatomique disparaît ou se dissimule ; mais, dans des figures nues, il n’en est pas de même. Plusieurs de nos contemporains célèbres, beaux coloristes