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confirmé par la lettre de sir William Codrington qu’a publiée M. Alger. Il y fait une description terrible de la fatale Conciergerie, où il passa quatre mois. Il se plaint que les prisonniers, entassés dans des salles étroites, aux plafonds bas, ne respiraient qu’un air corrompu, qu’on les enfermait dès cinq heures du soir, que les lits se touchaient, qu’il était resté trois semaines sans pouvoir obtenir des draps ; réussissait-on à s’endormir, on était réveillé à grand fracas par trois ou quatre guichetiers, qui, accompagnés de grands chiens et armés de grands marteaux, cognaient à tour de bras contre tous les barreaux des fenêtres pour s’assurer qu’ils étaient en bon état. « Après la description que je vous ai faite de cette horrible demeure, ajoute-t-il, peut-être aurez-vous peine à me croire quand je vous dirai que je n’ai jamais été si gai que pendant que j’y étais, et que depuis je n’ai jamais vu tant de gens de belle humeur. Il semble que la nature, en nous donnant des nerfs, ait voulu qu’ils s’accommodassent aux différentes situations où nous pouvons nous trouver. D’habitude, nous déjeunions et dînions les uns chez les autres, et notre gaîté était bruyante. La plupart d’entre nous pensaient n’avoir plus que peu de jours à vivre et que le mieux était d’en jouir le plus possible. Parmi les centaines de personnes que j’ai vues et à qui j’ai parlé après leur condamnation, je ne pense pas qu’une seule, à l’exception de Mme Du Barry, ait montré quelque mollesse de cœur, et quelques-uns de ces condamnés à mort semblaient aussi joyeux que si rien ne leur était arrivé. »

Compagnon de plaisirs du prince de Galles, sir William Codrington avait été déshérité par son père, las de payer ses dettes. Il s’était retiré en Bretagne ; c’est là qu’il fut d’abord incarcéré, et Carrier l’envoya au tribunal révolutionnaire. Sir William prétendait que « son seul crime était d’être né dans un certain royaume plutôt que dans un autre, » et que le proconsul avait aggravé son cas en le traitant de ci-devant et de milord. Tout porte à croire cependant que cet homme d’esprit et de plaisirs avait commis quelque imprudence, que par tempérament il avait peu de goût pour la révolution. Nombre de ses compatriotes, au contraire, en épousèrent les passions et les dogmes.

Mistress Freeman Shepherd, qui avait été pensionnaire au couvent des Bénédictines, était une admiratrice passionnée de Robespierre. Nicolas Gay estimait que les enfans ne devaient étudier que deux livres, celui de la nature et la constitution française. Plus ardent encore était le fils d’un cafetier d’Edimbourg, John Oswald, dont M. Alger a raconté la singulière histoire. Ayant fait un héritage, il avait acheté une commission dans un régiment d’infanterie, qu’il accompagna aux Indes ; mais il se dégoûta bientôt du service, courut le monde, vécut parmi les Kurdes et les Turcomans. En 1785, il reparut en Angleterre. Il méprisait la mode, détestait les cravates et les perruques, portait ses cheveux à la Titus. Après avoir publié quelques pamphlets