Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur de l’Afrique. Le ministère anglais a, il est vrai, bien d’autres difficultés qui s’accumulent par degrés autour de lui et pourraient, d’un instant à l’autre, lui faire une position critique. Il n’a pas seulement l’Irlande, l’éternelle Irlande, dont il ne peut avoir raison, et cette loi agraire récemment présentée, objet de discussions passionnées qui vont se rouvrir encore une fois. Il a aussi un bill malencontreux sur la clôture des cabarets qui ne satisfait ni les amis de la tempérance ni les cabaretiers, qui menace de diviser la majorité et risque de donner un grief de plus, une arme de plus à l’opposition dans les élections prochaines il a tout cela et bien d’autres choses encore à l’intérieur ; mais son plus grave embarras est certainement aujourd’hui dans la politique coloniale, dans ces affaires africaines, où le ministère est accusé de tout sacrifier à l’Allemagne, de subordonner les intérêts de l’Angleterre au bon plaisir de Berlin, de laisser les agens allemands, Émin-Pacha, le docteur Peters, le capitaine Wissmann, parcourir l’Afrique, usurper des territoires en dépit de la convention qui règle et limite la sphère d’action des deux puissances. Ceci commence à devenir sérieux. Lord Salisbury s’est hâté d’envoyer un émissaire, sir Percy Anderson, à Berlin, pour tâcher d’éclaircir et d’arranger les choses. Il n’a cessé, d’ailleurs, de prodiguer les déclarations les plus rassurantes sur la cordialité des rapports de l’Angleterre avec l’Allemagne, et M. de Caprivi, de son côté, à Berlin, s’est plu à exprimer les sentimens d’amitié de l’Allemagne pour l’Angleterre ; mais les paroles ne sont que des paroles. La mission de sir Percy Anderson à Berlin ne paraît pas avoir eu un brillant succès, et la question reste entière ; elle s’est même compliquée et aggravée, il y a peu de jours, par l’intervention inattendue d’un personnage nouveau, M. Stanley, l’explorateur hardi, le chef de l’expédition organisée en Angleterre pour aller délivrer Émin-Pacha, aujourd’hui au service de l’Allemagne. M. Stanley, dans un banquet qui lui a été offert par la chambre de commerce de Londres, a prononcé un discours où, sans en avoir l’air, sans paraître vouloir se mêler, lui Américain, des affaires de l’Angleterre, il a fait tout simplement le procès des concessions et des faiblesses du ministère de la reine.

Ce journaliste explorateur des régions inconnues n’y va pas de main légère et a déchiré tous les voiles. Il a décrit la marche envahissante de l’Allemagne ; il a énuméré les territoires conquis par les missionnaires anglicans, par l’argent anglais et abandonnés aux agens allemands. Bref, il en a dit assez pour émouvoir le sentiment anglais et même pour émoustiller le premier ministre, lord Salisbury qui s’est cru obligé de répondre dès le lendemain, avec une certaine hauteur, en s’efforçant d’apaiser les susceptibilités anglaises, de rassurer l’opinion ; mais M. Stanley ne s’est pas tenu pour battu. Il a répondu assez vertement, quoique avec une déférente courtoisie, à lord Salisbury et