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la paix, il fallait la chercher directement à Vienne, où on pouvait l’obtenir, mais non en Hollande, où on ne ferait jamais qu’en parler : et de là à penser que personne n’en dicterait mieux les conditions que le capitaine vainqueur qui tenait en gage une partie du patrimoine de la maison d’Autriche, il n’y avait déjà pas loin.

Mais à toutes ces considérations d’intérêt public, une autre se mêlait, plus personnelle, et, je le crains bien, plus puissante sur l’esprit du maréchal. Avec quelque honneur qu’il fût accueilli à Versailles, il n’avait pu manquer d’y rencontrer le prince de Conti décoré de son titre de généralissime : sa seule présence lui rappelait la compétition élevée entre eux et l’avantage moral que donnait à son rival un titre qui le mettait hors de pair et comme à la tête de l’armée française. Il savait bien d’où était parti le coup, puisque Mme de Pompadour s’en était confessée à lui-même, et que la prudence seule avait contenu, le premier jour, l’expression de son ressentiment ; mais le trait n’en restait pas moins gravé dans son cœur, et n’osant s’en prendre à l’auteur principal, il faisait retomber volontairement sa colère sur le ministre qui avait signé la malencontreuse ordonnance. A la vérité, le comte d’Argenson et son frère n’étaient guère amis, mais c’était entre eux une querelle domestique peu connue au dehors et surtout à l’armée, et que Maurice pouvait au moins faire semblant d’ignorer. Le nom de d’Argenson n’en sonnait pas moins très mal aux oreilles de Maurice, et il était tout préparé à entrer dans le concert formé pour porter à la position de l’aîné une atteinte qui devait ébranler celle du cadet. D’ailleurs, il n’eût pas fait deux pas à Versailles sans être entouré des ennemis de d’Argenson qui le comblaient de caresses, d’autant plus sensibles pour lui que le ministre, connu par la rudesse de ses manières, était plus sobre de ce genre de témoignages. Dans le nombre et parmi les plus acharnés dans leur haine était, on le sait, le maréchal de Noailles, que Maurice appelait, par plaisanterie, son maître dans l’art de la guerre, mais qui l’était bien en réalité dans l’art de manœuvrer à la cour.

Excité par ces flatteries intéressées, Maurice donna librement carrière à son retentissement, et il faut qu’il ait fait entendre même son irritation aux échos pour que le prudent Luynes ait cru devoir en enregistrer l’expression dans son journal : « Comme M. le maréchal de Saxe avait été bien reçu, dit-il, par le roi, on voulut lui faire compliment sur la manière dont le roi le traitait. Ce compliment ne parut pas le toucher, d’autant plus qu’il était peiné du brevet qu’avait obtenu M. le prince de Conti… Voici à peu près ce qu’il dit dans ce temps à un homme de bonne foi de qui je le sais : — « Le roi me parle, il est vrai, mais il ne me parle pas plus qu’à