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d’égalité qui leur est départie. Il n’est pas bon de se résigner facilement. L’état d’inquiétude sacrée où vivaient les prophètes était le grand propulseur religieux du génie de ce peuple, la garantie de son avenir. L’impossibilité des rêves qui empêchaient de dormir ces prodigieux agitateurs ne pouvait se découvrir encore. Ils voulaient la justice. Il fallait du temps pour arriver à voir que les abus qu’ils appelaient injustices tiennent aux conditions d’existence de la nature et qu’il faudrait supprimer la vie humaine pour les supprimer.


III

C’est bien dans cette période de paix et de prospérité relative du règne d’Ézéchias que l’on peut placer, par approximation, la fixation définitive de la religion iahvéiste, telle que les prophètes du temps d’Achab l’avaient conçue, telle qu’Isaïe et Michée l’ont parachevée. Iahvé n’a plus presque aucun lien avec la nature. Son caractère de Dieu national est momentanément effacé ; la victoire du monothéisme paraît complète. Iahvé est le Dieu qui a fait le ciel et la terre. Il veut le bien. L’homme lui rend hommage en pratiquant la justice. Ce culte-là, tout le monde peut le lui rendre, et, en ce sens, l’humanité tout entière est appelée au culte de Iahvé.

Iahvé exerce sa justice par le train ordinaire du monde, qu’il gouverne jusque dans le moindre détail, en maître absolu. La réalité présentait ici d’étranges objections au penseur le plus facile à satisfaire, l’honnête homme étant souvent malheureux et le pervers en apparence souvent récompensé. Le iahvéisme s’abîmait dans ce gouffre. Iahvé, questionné sur le chapitre de sa providence, ne répond à l’homme que par des coups de tonnerre. Le gouvernement du monde est parfaitement juste, sans que l’homme puisse savoir comment. Jamais le moindre appel n’est fait par les sages de ce temps à des récompenses ou à des châtimens d’outre-tombe. La justice de Iahvé, d’ailleurs, est sommaire ; il punit les sociétés malades, au risque d’atteindre plus d’un innocent. Cette justice est surtout intermittente. Iahvé a ses jours ; il laisse la malice humaine aller à son comble, alors il apparaît et punit.

Toute l’histoire du monde est le développement d’un plan conçu et voulu par Iahvé. La race d’Israël est le pivot de cette histoire. Iahvé l’a choisie dans la famille araméenne, comme une tribu privilégiée ; il la suit des yeux depuis plus de mille ans. La grande marque d’affection qu’il lui a donnée fut de la tirer de l’Egypte par son serviteur Moïse, à qui il a fait, dans le désert du Sinaï, diverses manifestations de ses volontés, sans que pourtant la source