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Loin de moi le cœur pervers !
Je ne connaîtrai pas le méchant.

Celui qui calomnie en secret son prochain, je l’exterminerai ;
L’homme aux yeux hauts et au cœur large[1], je ne le supporterai pas.

Mes yeux inviteront les fidèles de la terre à demeurer avec moi ;
Celui qui est irréprochable en sa voie sera mon ministre.

L’artisan de fraude ne demeurera pas dans ma maison ;
Celui qui profère le mensonge ne se tiendra pas devant mes yeux.

Je me lèverai chaque matin pour anéantir les méchans de la terre,
Pour exterminer de la cité de Iahvé tous ceux qui font l’iniquité.

Ce psaume peut être du temps de Josias, comme du temps d’Ézéchias. On voit combien le pharisaïsme est ancien en Israël. La question des rapports sociaux était grave pour l’homme pieux. Notre principe moral, qu’il n’y a pas de contagion pour le galant homme, qu’on peut voir et toucher tout le monde sans contracter nulle souillure, était le contraire de l’esprit des saintes gens d’Israël. Il fallait choisir sa compagnie, s’arranger pour n’avoir de relations qu’avec les gens de la même secte que soi. Ce principe, divisant le monde en petites coteries sectaires, a rendu impossible en Orient ce que nous appelons la société. L’inquisition la plus odieuse en sortait comme conséquence nécessaire. Le roi qui mettrait en pratique les maximes du parfait roi d’Israël serait un tyran redoutable. Il est dangereux d’avoir pour programme de purger sa ville des ennemis de Dieu, c’est-à-dire de ceux qu’on suppose tels ; car Dieu ne met personne dans ses confidences, et ne communique pas la liste de ses amis. Philippe II, pour obéir à ce verset, dressait ses listes d’extermination et les faisait exécuter le matin. Israël a fondé bien plutôt la moralité que la liberté. À vrai dire, sept cents ans avant Jésus-Christ, personne n’avait l’idée de la liberté comme nous l’entendons ; la Grèce elle-même commençait à peine à en apercevoir quelque lueur. Selon le rédacteur jéhoviste de la Genèse, les pensées de l’homme vont naturellement au mal ; le roi, représentant de Dieu, doit surtout réprimer. Notre libéralisme « au cœur large » eût fait à ces vieux croyans l’effet qu’il produit sur les musulmans, sur les protestans puritains ; il leur eût semblé l’impiété même, la négation absolue des droits de Iahvé. Le banc sur lequel nous enseignons cette douce philosophie leur eût paru être la chaire du mal, et sûrement ils l’eussent appelé mosab lécim, « le banc des railleurs. »


Ernest Renan.
  1. En mauvaise part : l’anav, toujours triste et contrit, a le cœur étroit, serré en quelque sorte.