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par une conduite habile et surtout discrète. Son parti fut bientôt pris. Ce souverain, réputé dépourvu d’initiative et de fermeté, congédia son premier ministère, formé cependant d’hommes d’état éprouvés et dont le dévoûment lui était personnellement acquis.

Parmi les plus fréquens défenseurs du trône et de l’autel, parmi ceux-là qui avaient combattu si vaillamment pendant la tourmente de 1848, un junker de la Marche, M. de Bismarck, s’était montré le plus ferme et le plus véhément. L’audace de son langage et l’absolutisme de ses doctrines avaient conquis à son nom une notoriété qui le plaçait au premier rang. Tout a été dit sur ses débuts dans la vie publique. Sa correspondance, comprenant ses lettres les plus intimes écrites à cette époque, a été, avec son assentiment, livrée à la publicité ; on serait tenté de croire qu’il n’a voulu laisser ignorer à la postérité aucune des erreurs politiques de sa jeunesse. Il est donc superflu de nous y arrêter. Notons cependant que sa ferveur féodale lui valut la bienveillance du roi Frédéric-Guillaume, qui lui confia les fonctions de délégué de la Prusse à la diète de Francfort. C’est là qu’il trouva son chemin de Damas. Un esprit de sa trempe, éclairé par un ardent patriotisme, ne pouvait s’attarder dans des conflits de partis et de castes. Au sein de l’assemblée fédérale il comprit, du premier jour, qu’il était sur son véritable terrain ; qu’il s’y trouvait en présence des plus redoutables adversaires de la Prusse ; que là était l’obstacle à son agrandissement, à l’influence que la pureté de son germanisme lui donnait le droit de revendiquer en Allemagne. L’attitude du représentant de l’Autriche, le privilège dont il était investi de présider la diète à l’exclusion de tous les autres délégués, même de celui du gouvernement prussien, les tendances des envoyés des cours secondaires qui n’avaient rien à redouter de Vienne, qui devaient tout appréhender de Berlin, lui révélèrent que le pacte de 1815 condamnait le gouvernement de son pays à l’impuissance, et il se persuada qu’il fallait briser ce pacte si l’on voulait que la Prusse reprît son essor interrompu. Dès lors il considéra avec moins de répugnance les doctrines qu’il avait si violemment combattues. Il avait blâmé, en termes amers, ce qu’il appelait les hérésies de la cour de Coblentz ; il se montra disposé à s’en accommoder dans une certaine mesure. Il se glissa dans la petite église sans y avoir été convié. Député à la chambre de Berlin, il avait défendu, après comme avant Olmutz, l’alliance avec l’Autriche ; représentant du roi à Francfort, il la combattit avec toute la véhémence de son tempérament. Il n’espérait pas entraîner Frédéric-Guillaume et ses conseillers, ces incorrigibles intransigeans ; mais il pressentait qu’un nouveau règne permettrait prochainement d’inaugurer une