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de contester, à un degré quelconque, le génie politique de M. de Bismarck. Il en a fourni des preuves nombreuses et éclatantes avant la double guerre qui a engendré l’empire germanique ; il en a donné de plus merveilleuses encore depuis le rétablissement de la paix. Pendant que l’état-major veillait à la consolidation et au développement des forces militaires du nouvel empire, il a employé toutes les ressources de son esprit à garantir l’œuvre accomplie contre toute éventualité. Il a conclu des alliances que personne n’aurait prévues ou tentées. Il a rivé à la fortune de son pays les deux puissances que les événemens de la veille semblaient avoir vouées à d’autres accords. L’Autriche, résignée, a étouffé le souvenir de ses défaites et ses ressentimens ; l’oublieuse Italie a brisé tous les liens qui l’unissaient à la France ; elles ont, l’une et l’autre, accepté le joug de l’Allemagne et sont à sa merci. Après avoir obtenu, en 1866, la neutralité de l’empereur Napoléon, en 1870, l’abstention bienveillante de l’empereur Alexandre, M. de Bismarck a pu, au congrès de Berlin, mettre en lambeaux, avec le concours de l’Angleterre, le traité de San-Stefano et vaincre la Russie sans la combattre en lui ravissant les concessions qu’elle avait arrachées à la Turquie après une guerre sanglante, mais glorieuse. Il a fait plus ; au moyen d’un déguisement trompeur, il a mis l’Autriche en possession de deux provinces de l’empire ottoman, la Bosnie et l’Herzégovine, et orienté la politique du cabinet austro-hongrois sur le Bosphore. Il est parvenu ainsi non-seulement à abriter le passé, les avantages acquis, autant que la prévoyance humaine peut y pourvoir, mais encore à préparer pour ses successeurs la tâche de l’avenir, le couronnement de l’œuvre qu’il a si puissamment contribué à édifier. Il a, en même temps, rendu plus incurable, plus aiguë peut-être, l’hostilité déjà si profonde entre la Russie et l’Autriche dans la presqu’île des Balkans. A l’aide de quels moyens a-t-il séduit l’Italie et l’a-t-il déterminée à renier ses traditions nationales et patriotiques, à le suivre dans une voie où elle n’a recueilli, jusqu’à présent du moins, que des mécomptes et des épreuves douloureuses ? Nous n’entreprendrons pas de pénétrer ce mystère. Ce que nous avons voulu constater, c’est que la prévoyance et l’habileté de M. de Bismarck ont assuré à l’Allemagne un titre conventionnel qui met à sa disposition les forces réunies de l’Autriche et de l’Italie, dans des conditions relatives qui ne garantissent ni à l’une ni à l’autre de ces deux puissances une parfaite réciprocité. Ce que nous avons voulu établir également, c’est que l’Autriche a accepté ou subi une situation qui sera un obstacle durable à tout rapprochement avec la Russie ; c’est que l’Italie ne pourra, de longtemps, renouer avec la France des