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Les adversaires de la liberté du travail se peuvent ranger sous deux bannières différentes. Les uns, pour mettre un terme à ce qu’ils appellent les abus de la liberté, s’adressent purement et simplement à l’État. Suivant eux le contrat du salaire, ce qu’on appelle en droit le louage de services, n’est pas un contrat ordinaire dont les conditions doivent être réglées par le libre accord des parties, conformément aux principes du droit commun. Les clauses de ce contrat doivent, au contraire, être soumises à la surveillance de l’État et la puissance publique a le droit d’intervenir dans les conventions qui engagent respectivement le patron et l’ouvrier. Elle puise non-seulement ce droit, mais ce devoir dans l’inégalité des deux parties contractantes. L’ouvrier, étant le plus faible, n’est pas en situation de traiter d’égal à égal avec le patron. L’État doit donc le prendre sous sa protection comme en droit civil il fait pour le mineur. Il doit aller plus loin et, comme le mineur également, il doit protéger l’ouvrier contre lui-même. Il ne doit pas lui permettre d’abuser de ses forces par un travail excessif. Il ne doit pas lui laisser la libre disposition de son salaire, mais l’obliger au contraire à en prélever une partie pour s’assurer contre le risque de la maladie et la certitude de la vieillesse. Il doit l’exempter, comme un être inconscient, des conséquences de son imprudence et en faire retomber la responsabilité sur celui qui l’emploie. On pourrait citer d’autres exemples de cette doctrine qui, à tous les points de vue, sauf au point de vue politique, maintient l’ouvrier à l’état de minorité perpétuelle. Elle a inspiré plusieurs projets de loi dont la chambre des députés est aujourd’hui saisie. On l’a baptisée du nom de socialisme d’état. Plus ou moins justifiée, l’expression a fait fortune et il est sans inconvénient de s’en servir.

La même défiance de la liberté qui a inspiré les socialistes d’état a donné naissance à une autre école qu’on appelle communément l’école des socialistes chrétiens. Je me fais cependant un peu scrupule de leur appliquer cette dénomination, d’abord parce qu’ils ne l’acceptent pas, ensuite parce qu’elle est trompeuse. Elle donne à croire en effet que tous les chrétiens, tous les catholiques qui s’occupent de questions sociales sont des socialistes chrétiens. Il n’en est rien, et, dans le monde catholique en particulier, les opinions sont très divisées. Les plus éminens disciples de M. Le Play, M. Claudio Jannet, M. Cheysson, M. Delaire, d’autres encore que je pourrais nommer, tiennent bon en économie sociale pour le principe de la liberté. Dans un tout autre camp, le père Forbes, le père Fristot, qui appartiennent à la compagnie de Jésus, ont publié sur la question des corporations, des assurances, de la concurrence commerciale, des études où ils adoptent, des solutions