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de la vie champêtre ne supposent pas d’ailleurs la moindre sympathie pour les vilains. Toute cette littérature ne leur est point tendre. Elle ne parle guère d’eux, ne parle pas pour eux. Ce n’est pas pour eux, la musique printanière des pastourelles, ni la forêt de Brocéliande, ni le mystère exquis des lais de Bretagne. Pourtant, quand, dans une cour seigneuriale, les tables une fois levées, quelque jongleur est admis à dire ses vers, il parle d’eux souvent, mais en des pièces terribles, qu’il sera intéressant de grouper quelque jour. « Qui fist vilains, si fist les lous, » disent-elles,

Dieus het vilains, Dieus het vilaines ;
Tels les asnes, tels les vilains ;
Tels les vilaines vilenesses
Autressi comme les asnesses.

Cette noble poésie, que les vilains n’entendront point, a un reproche à leur faire : c’est de trop manger, comme les bœufs. Il y a dans La Bruyère une belle phrase sur eux, mais c’est la pitié qui l’a dictée. Dans le Despit au vilain, nous retrouvons cette même phrase :

Il deüssent parmi les landes
Pestre herbe avec les bués cornus,
A quatre piés aler toz nus.

Les vilains, nous dit un fabliau, sont :

Felon, cuivert, failli et vain,
Malëureux de toute part,
Hideus comme leu ou lupart…

La littérature du moyen âge, populaire en partie par ses origines, a perdu bientôt le souvenir de son enfance. Ce que les vilains ont aimé, haï, pensé, ni les aristocratiques romans de la Table-Ronde ne nous le diront, ni les bourgeoises gaîtés des fabliaux. Personne qui les fasse arriver « à la vie, à la voix. » Tous les sentimens de la littérature courtoise à l’égard des vilains se résument dans ce refrain d’une pastourelle :

Chi le me foule, foule, foule,
Chi le me foule, le vilain.

Mais les héros des pastourelles ne sont pas des vilains. Ce sont « des bergers polis et agréables, » conformes au type que