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Parmi les Français, on constate une double tendance : les uns, séduits par les rêves de Corot, préfèrent par-dessus tout l’harmonie générale et douce de la peinture ; les autres, marchant sur les pas moins trompeurs de Théodore Rousseau et des Hollandais, apportent dans leur étude de la nature un esprit plus scientifique et une soumission plus scrupuleuse. A la tête des partisans du paysage poétique, artiste très distingué, très séduisant, marche aujourd’hui M. Cazin. La part d’interprétation et d’atténuation qu’il introduit dans la transposition des élémens naturels est sans doute très grande, et on ne saurait l’imiter sans péril ; mais cette interprétation est délicate et cette atténuation pleine de recherches exquises. La Moisson et le Soir, paysages sans figures, ont le charme de douces chansons rustiques murmurées à demi-voix ; lorsque le peintre indique avec discrétion des figures aimables dans ses paysages attendris, comme dans les Voyageurs et un Soir, il les y place avec une grâce parfaite et un sens tout à fait juste de la légèreté atmosphérique et de la sérénité lumineuse. Le Salon du Champ de Mars servira sa réputation comme il servira celle de quelques autres, peut-être plus studieux de la réalité, mais qui semblent disposés aussi à donner à leurs impressions l’ampleur et le charme des beaux rêves, ce dont on ne les saurait blâmer. M. Billotte, par exemple, donne à ses études en banlieue une distinction de plus en plus juste et précise. M. Iwill, jusqu’à présent vague et incertain, exprime dans sa Solitude et surtout dans ses pastels, Matin à Dordrecht, Octobre en Zélunde, Baie de la Forest, son sentiment poétique au moyen d’observations plus nettes et plus exactes. Dans sa Lisière de bois et ses Chênes en hiver M. Cabrit montre à nouveau cette entente délicate de la lumière fine et légère et cette connaissance de la structure végétale qui ont attiré sur lui l’attention, dès son apparition à Paris.

Dans notre Nord, les meilleurs paysages sont, d’abord, une série de petites marines, d’une exécution variée, souvent très colorée, par M. Boudin, et les belles études panoramiques, en plaines bretonnes, spacieuses et lumineuses, mais trop sommaires, de M. Damoye. Voici ensuite une Matinée d’hiver et surtout un Soir d’hiver, par M. Henri Saintin. La peinture de M. Saintin est un peu mince pour ses grands cadres, mais cet artiste apporte, dans l’analyse des effets doux de la lumière hivernale sur les arbres desséchés, les gazons pelés, la campagne déserte, une force et une délicatesse qu’on ne remarque peut-être pas assez. C’est un paysagiste extrêmement consciencieux. Sous ce rapport, on ne peut lui comparer que M. Victor Binet. Celui-ci, à vrai dire, parmi tous nos jeunes gens, nous semble un de ceux