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qui devront aller le plus loin. Les motifs qu’il choisit pour ses études ne sont pas toujours rians et attrayans. Il s’arrêta devant lui, à peu près au hasard, croyant que, pour un artiste, tout peut être un excellent sujet de sensation et de pensée, mais partout il pousse son observation avec une conscience et une conviction d’où sortira quelque jour sans doute une personnalité bien marquée. Son Soir, ses Carrières à Gentilly, son Jardinet à Montrouge, ne figurent pas parmi les toiles les plus tapageuses du Salon, elles comptent parmi les plus sérieuses. Au Midi, nous rencontrons encore toute une escouade de Provençaux, M. Montenard, d’abord, toujours brillant et scintillant, mais qui s’empoussière à force de vouloir s’ensoleiller. Ses toiles ne nous offrent plus, au point de vue de l’authenticité de la lumière, de l’exactitude des objets, de la solidité des formes, toutes les garanties que nous trouvons, en revanche, chez M. Moutte dont les Deux Compagnons (un âne avec son ânier devant une porte) sont un des plus jolis tableaux du Champ de Mars, et chez M. Dauphin qui n’expose pas moins de cinq études provençales, de terre ou de mer, avec ou sans navires, toutes les cinq très saisissantes par la netteté vive de l’exécution et la justesse chaude de la lumière. Le paysage pyrénéen n’est raconté que par M. Gustave Collin dans un style ardent et coloré où on sent l’admiration du peintre pour Eugène Delacroix ; quelques-unes de ses études sont d’une sincérité puissante et chaleureuse.

Dans le paysage, comme dans le genre et dans le portrait, nous trouvons, en somme, au Champ de Mars ainsi qu’aux Champs-Elysées, malgré un entourage fâcheux de pochades sans intérêt et sans convictions, un certain nombre de résistances suffisantes aux paradoxes à la mode pour que les destinées de l’école ne semblent pas compromises, si tous ceux qui comprennent la nécessité d’un retour énergique à la science des formes par une étude plus rigoureuse du dessin se fortifient dans leurs convictions et se soutiennent entre eux afin de s’enhardir dans l’expression de ces convictions. La présence de M. Meissonier à leur tête est bien faite pour les encourager. Il n’est donc pas impossible que la campagne de 1890 au Champ de Mars, faite sous la direction de ce chef énergique, amène, comme celle de 1889, à l’exposition centennale, faite sous la protection de David, ce résultat, peut-être imprévu, que les peintres français se confieront plus pour l’avenir à la science qu’à la fantaisie, à l’étude qu’au laisser-aller !


GEORGE LAFENESTRE.