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sans cesse répétée, l’effusion à l’unisson, large et chantante, des violons ou des violoncelles ! Le quatuor de M. de la Nux s’abandonne trop souvent à ces épanchemens faciles. Et puis l’auteur de Zaïre, comme celui de Dante, manifeste pour les harpes une tendresse exagérée. Qu’on chante l’amour ou la guerre, que Zaïre meure ou que rugisse Orosmane, tout se passe en arpèges ; décidément on fait trop d’honneur, ce printemps, à l’instrument que chérissait Corinne. En dépit des harpes, et aussi d’un orgue, dont les sonorités orthodoxes ne conviennent peut-être pas très bien au sérail d’un Soudan, l’orchestration de M. Véronge de la Nux ne manque pas toujours d’une certaine puissance. Une marche, au second acte, a paru bien développée. Au premier, si le finale : France ! France ! pèche par la banalité, certaines pages qui le précèdent nous avaient presque ému. Il s’agit d’une sorte d’homélie religieuse et patriotique adressée par Lusignan à ses compagnons de captivité, délivrés avec lui. Le musicien a obtenu ici un effet vraiment pathétique d’une déclamation rapide, jetée avec emportement, avec enthousiasme, sur l’ensemble des masses chorales. Un certain souffle d’héroïsme emporte le cantique du vieillard et le maintient même trop longtemps sur des hauteurs où M. Escalaïs n’a pas bronché. Outre ce passage, le meilleur, on pourrait citer encore quelques détails, des amorces d’idées ou de phrases : la première entrée de Zaïre après un chœur oriental agréable : le duo de Zaïre et de Fatime ; dans le rôle de Zaïre encore, au second acte, un air d’un sentiment juste et touchant.

Les interprètes principaux de Zaïre, Mlle Eames et M. Delmas, ont prêté à deux rôles ingrats et difficiles, l’une sa grâce, l’autre son énergie. M. Delmas a beaucoup de talent, un talent simple, solide et sain. Il chante juste, dans toutes les acceptions du mot ; il joue avec intelligence et chaleur et prononce à merveille. Que les directeurs de l’Opéra, au lieu de le laisser partir, lui fassent donc une situation jusqu’ici faite à d’autres qui sont loin de le valoir. — Mlle Eames est en progrès : sa prononciation s’est améliorée et son expression a pris de la variété. Sa voix ne pouvait embellir : elle demeure toujours un peu froide, on l’a dit ; mais, on l’a dit aussi, froide délicieusement. Et puis (je dis : et puis, non : d’abord) la jeune fille est si jolie ! Les auteurs déviaient lui dédier leur Zaïre comme Voltaire dédia la sienne à Mlle Gaussin :

Zaïre est ton ouvrage.
Il est à toi, puisque tu l’embellis.
Ce sont tes yeux, tes yeux si pleins de charmes,
Ta voix touchante et tes sons enchanteurs,
Qui du critique ont fait tomber les armes.
Ta seule vue adoucit les censeurs.