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d’accompagnemens ingénieux ! Quelle jolie tenue du quatuor sous le premier air de Marot ! quels gracieux dessins enroulés autour de la prière de Colette : O mon patron ! saint Nicolas ! Surtout, quelle parfaite justesse, quelle délicatesse exquise de sentiment et d’accent dans la scène où, pour sauver son mari, Colette feint de ne pas le connaître ! Il fallait craindre ici toute exagération, même et surtout l’exagération sentimentale. Le musicien l’a compris avec un tact parfait, et c’est à peine s’il a fait poindre une larme dans les yeux de la petite paysanne. Elle se plaint doucement, la pauvrette, avec chagrin, avec un peu de honte et de crainte, comme si renier son amour, fût-ce par un pieux mensonge, c’était le profaner, le blesser, qui sait ? le tuer, peut-être !

Nous pourrions citer plus d’une page encore, par exemple, les couplets du ténor : Mais jurez, Colette, de rester discrète ! avec le refrain, très gentiment tourné, qui n’a pas été moins gentiment chanté par un jeune débutant, M. Carbonne. Tout ce premier acte fourmille de jolis détails ; on y surprend à chaque page quelques mesures piquantes de récitatif ou de chœur, et, dans l’orchestre surtout, mille petits coins charmans.

L’interprétation de la Basoche est excellente. M. Soulacroix chante, comme toujours, à merveille. M. Fugere est d’un comique puissant, presque grandiose. J’imagine qu’il ne doit pas être au-dessous de ce que furent les grands artistes bouffes de l’Italie. À Mme Landouzy, je préfère encore Mme Molé-Truffier. Elle joue avec esprit et chante pareillement, d’une voix pour ainsi dire retroussée, ainsi que toute sa petite personne. L’orchestre est parfait et ne laisse rien perdre de toutes les gentilles choses qui lui sont confiées.

Voilà enfin une agréable soirée de musique. Elle nous était bien due. Quand vous irez entendre la Basoche, ne manquez pas surtout la première moitié du premier acte. Si vous trouvez que, par la suite, M. Messager a repris un peu trop souvent la grand’route, souvenez-vous qu’il a marché d’abord dans un sentier fleuri. Nous l’y avons suivi avec délices. S’il n’a pas achevé le petit chef-d’œuvre espéré, félicitons-le de l’avoir un peu plus que commencé. Qu’il le recommence au plus vite, et, cette fois, nous gagerions volontiers qu’il le finira.

Passons maintenant au spectacle sélect du jour. On savait, depuis quelques mois, que les plus nobles, les plus élégantes et les plus riches d’entre les Parisiennes avaient fondé une société dite un peu emphatiquement Société des grandes auditions musicales de France. Après une première épreuve, Société des grandes mystifications paraîtrait un meilleur titre. La société en question, qui promettait de nous faire entendre les chefs-d’œuvre oubliés, vient de débuter assez piteusement par une partition de Berlioz, Béatrice et Bénédict, trop peu oubliée,