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quoi qu’il dût lui coûter de ne pas rejoindre ses glorieux chefs, les Pothuau, les Jauréguiberry. Il se conduisait avec la loyauté d’un soldat, et M. le ministre de la marine, il faut lui rendre cette justice, a défendu sans restriction, avec autant de fermeté que de chaleureuse émotion, celui que les plus brillans services avaient désigné à son choix.

De toutes ces accusations envenimées de l’esprit de parti, il n’est certainement rien resté ; la bonne renommée de l’homme est demeurée intacte. De tels débats cependant, qu’on ne s’y trompe pas, ont leur gravité et une assez triste moralité. Ils ne feraient d’abord, s’ils devaient se renouveler, que dénaturer et ruiner le régime parlementaire. Qu’un député interpelle le gouvernement sur sa politique, sur la direction générale des affaires, il le peut sans doute, il peut même abuser d’un droit que M. le président Floquet a peut-être exagéré en le confondant avec la liberté légitime de la tribune. Prétendre intervenir à tout propos dans les détails de l’administration, dans le choix des hommes, dans l’appréciation des services, c’est changer tous les rôles, mettre la confusion dans tous les pouvoirs, ruiner à la fois le gouvernement et le parlement. D’un autre côté, pense-t-on que cette délation organisée et retentissante, illimitée et sans responsabilité, soit sans péril pour la discipline, pour cette discipline qui est restée jusqu’ici incorruptible dans notre marine ? C’est au contraire le plus sûr moyen d’affaiblir l’autorité des chefs, d’altérer la confiance, d’avilir à la fois le commandement et l’obéissance ; c’est ramener par l’anarchie à tous les rêves ou à toutes les tentations de dictature. La chambre s’est heureusement arrêtée dans cette voie, et il s’est trouvé une majorité pour en finir par un pur et simple ordre du jour.

Chose étrange cependant ! Voilà déjà plusieurs circonstances où les questions politiques les plus sérieuses, les plus délicates se sont trouvées engagées par des interpellations captieuses, agitatrices. Il y a quelque temps, on interpellait le gouvernement sur les répressions du 1er  mai ou sur le rétablissement de M. le préfet de la Seine à l’Hôtel de Ville, qui n’était que le simple retour à une légalité méconnue par le conseil municipal. Il n’y a que quelques jours on l’interrogeait sur la libération de M. le duc d’Orléans. Hier c’était au sujet de la nomination d’un chef d’escadre. Et dans ces diverses circonstances, d’où est venu le péril pour le ministère ? où a-t-il, au contraire, trouvé un appui ? Ce sont les radicaux qui lui ont suscité des difficultés ; ce sont les conservateurs qui, sans craindre de se rencontrer avec les républicains modérés, lui ont donné leur vote. Est-ce que ce ne sont pas là les signes d’une situation assez nouvelle, les indices vagues, indécis, assez sensibles pourtant, des conditions pratiques où l’on pourrait faire de cette trêve d’aujourd’hui une paix plus sérieuse et plus durable ? On le sent, c’est certain, on ne le dit pas. Le mal vient de ce