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des dangers d’une invasion, qu’il y avait eu, après tout, plus d’invasions anglaises en France que de débarquemens français en Angleterre. M. Gladstone en a été pour ses frais d’éloquence ; le gouvernement a eu sa victoire, si tant est que ce soit une victoire bien fructueuse, digne d’une grande nation.

Au fond, ce n’est là sans doute qu’un de ces incidens dont un gouvernement a aisément raison quand il peut flatter quelque vieux préjugé, quelque passion nationale, — et, si le ministère anglais n’avait pour le troubler que le tunnel de la Manche, il n’aurait pas à s’émouvoir. Malheureusement pour lui, il n’en est pas à une difficulté près ; il a bien d’autres affaires qui lui créent une situation des plus compliquées, des plus délicates, qui peuvent être une dangereuse épreuve pour sa majorité, pour ses alliances parlementaires, pour son crédit. Nous ne parlons même pas de cette question des pêcheries de Terre-Neuve, à laquelle il a laissé peut-être prendre une importance artificielle et qui le place aujourd’hui dans une position assez critique, soit vis-à-vis de la France, qui ne lui demande pour ses nationaux que l’exécution des traités, soit vis-à-vis des habitans de Terre-Neuve, qui le menacent de se donner aux États-Unis. Cette querelle un peu bruyante finira par s’apaiser sans doute. Lord Salisbury a de plus, pour le moment, à poursuivre avec l’Allemagne une négociation fort laborieuse au sujet des possessions de l’Afrique orientale. Il vient de renvoyer à Berlin sir Percy Anderson pour pousser à bout cette négociation. L’Angleterre se résignera-t-elle à faire des concessions à l’Allemagne ? Réussira-t-on à tracer une délimitation nouvelle, suffisamment satisfaisante, entre la sphère d’action anglaise et la sphère d’action allemande ? La position est d’autant plus critique que l’opinion est désormais éveillée par les révélations de M. Stanley et qu’elle n’est pas sans défiance à l’égard de la diplomatie de lord Salisbury. C’est certainement une complication sérieuse pour le ministère anglais ; mais la question la plus grave pour lui, peut-être, à l’heure qu’il est, la plus dangereuse pour sa sûreté, est d’un ordre tout intérieur : ce n’est même plus l’Irlande, c’est cette question de la clôture des cabarets et de l’indemnité promise aux débitans en cas de suppression de leurs débits. Le chancelier de l’échiquier, M. Goschen, s’est visiblement engagé dans une mauvaise aventure.

Étrange retour des choses ! Il n’y a que peu de temps encore, lorsqu’il présentait son budget, M. Goschen était un des hommes les plus populaires de l’Angleterre. Il passait pour le plus habile financier après M. Gladstone, pour l’athlète du cabinet tory-unioniste, et peu s’en fallait qu’on ne vît en lui un futur premier ministre. Aujourd’hui, il est l’objet de toutes les animadversions ! C’est la faute de ce malencontreux bill sur les cabarets, qui pourrait bien mettre le désarroi dans la majorité ministérielle, qui ne satisfait ni les libéraux, ni les conserva-