Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il ne compte que sur soi, usant d’un moyen que recommandèrent aussi Spinoza et les stoïciens, oubliant le moi passager, pour contempler l’ensemble des êtres. Ce monde entier, il le contemple par cinq méditations dont la première s’appelle Mutla bhavana ou réflexion sur l’amour.

Pensant à toutes les créatures vivantes et songeant quelle félicité serait la sienne s’il était lui-même affranchi du chagrin, de la passion, des mauvais désirs, il souhaite à tous les êtres cette félicité. Puis, à l’endroit de ses ennemis, ne se souvenant que de leurs bonnes actions, il s’efforce en toute sincérité de leur souhaiter tout le bien qu’il pourrait chercher pour lui-même.

La seconde méditation (Karuna bhavana) est celle de la pitié. — Pensant à tous les êtres qui souffrent et s’efforçant de concevoir leur douleur, il tâche d’y compatir et d’éveiller en soi le chagrin des autres.

La troisième est la méditation sur la joie (Muditha bhavana). Pensant à tous les êtres qui sont heureux ou qui croient l’être, le religieux se figure le bonheur des autres et se réjouit de leur joie.

La quatrième méditation (Asuba bhavana) est celle de l’impureté. Pensant à la bassesse et aux souillures des corps, aux horreurs de la maladie, le moine se dit que tout cela passe comme l’écume de la mer, que tout cela n’existe que par l’éternelle succession des naissances et des morts et que cette succession n’est qu’une apparence.

Enfin, arrive la méditation sur la sérénité (Upeskha bhavana). Pensant à toutes les choses que les hommes tiennent pour bonnes ou pour mauvaises et qui toutes sont passagères, au pouvoir et à la dépendance, à l’amour et à la haine, à la richesse et à la pauvreté, à la renommée et au mépris, à la jeunesse et à la beauté, à la décrépitude et à la maladie, il les contemple avec une indifférence invincible, avec une sérénité absolue.


Cent vingt moines dans le monastère : le couvent est une institution savante et de plus légale, respectée comme autrefois une grande abbaye, Cîteaux ou Saint-Germain au moyen âge. J’ai vu la bibliothèque, une salle retirée qui s’élève en dôme, où les palmes manuscrites sont enveloppées de linge. Dans un coin, des novices japonais lisaient, venus en pèlerins et en étudians de l’autre bout du monde bouddhiste. On m’a montré un beau livre rouge qui contient les trois pitakas ou écritures sacrées des bouddhistes du sud. Sur la première page on lit:

Au très révérend Sri Weligama, supérieur du monastère de Kandy, en témoignage de respect,

EDOUARD, prince de Galles.