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série est éternelle : elle n’a jamais commencé et ne finira jamais.

Qu’est-ce que l’homme dans cet univers? Un être pensant, mais un être comme les autres, c’est-à-dire un ensemble de forces réunies pour quelque temps, mais condamnées à se dissoudre; un système de facultés et de tendances, une série d’images, d’idées, de velléités, de volontés, de sentimens qui passent, mais dont l’ordonnance subsiste pendant quelque temps, comme la forme et la structure d’un corps organisé persiste à travers les morts et les renouvellemens de ses cellules. Rien de stable dans l’homme, ni les événemens qui, en s’assemblant et en se succédant suivant une certaine loi, constituent sa personne, ni cette loi elle-même, qui va changeant lentement avec sa croissance et son déclin. Il y a cinq groupes (skundhas) de ces élémens, dont la cohésion fait l’individu, et les bouddhistes montrent par le détail qu’aucun de ces élémens, aucun de ces groupes n’est une substance permanente. Le premier comprend les qualités matérielles (étendue, solidité, couleur) ; elles sont comme une écume qui naît graduellement et s’évanouit. Le second contient les sensations : elles sont pareilles aux bulles qui dansent à la surface des eaux. Dans le troisième, les perceptions et les jugemens ressemblent au mirage incertain de midi. Dans le quatrième, les dispositions morales et mentales rappellent « la tige de plantain, dépourvue de force et de solidité. » Enfin, les pensées sont un spectre, une illusion magique!..

« O mendians ! dit Gautama, de quelque façon que les différens maîtres contemplent l’âme, ils imaginent qu’elle est l’un des cinq groupes ou leur ensemble. C’est ainsi, ô mendians! que l’homme qui n’est pas converti et qui ne comprend pas la loi des convertis considère l’âme tantôt comme identique aux qualités matérielles ou comme les possédant, ou comme les contenant, ou comme y résidant, tantôt comme identique à la sensation ou comme la contenant, ou comme y résidant, » et ainsi de suite, prenant, l’un après l’autre, les trois derniers groupes. Concevant donc l’âme de l’une ou de l’autre de ces façons, il arrive à l’idée : Je suis. De la sensation, par exemple, l’homme sensuel et ignorant tire la notion : « Je suis, ce moi existe. Je serai ou je ne serai pas, j’aurai ou je n’aurai pas de qualités matérielles, je serai muni ou dépourvu d’idées. Mais le sage disciple des hommes convertis, bien qu’il possède les cinq organes des sens, s’étant débarrassé de l’ignorance, est parvenu au savoir. C’est pourquoi les idées : Je suis, ce moi existe, je serai on je ne serai pas, ne se présentent plus jamais à son esprit. »

Descartes a dit : « Je pense, donc je suis. » Volontiers le Bouddha