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d’en donner la démonstration, n’est qu’un extrait d’un ouvrage célèbre au moyen âge, le Physiologus ou Bestiaire. On v apprend, par exemple, que l’oiseau appelé callendrino, placé devant un malade, détourne la tête si le malade doit mourir; si celui-ci au contraire doit en réchapper, l’oiseau le regarde en face et prend pour lui sa maladie. Là où les Bestiaires ont fait défaut à Léonard pour l’étude des mœurs des animaux, il a eu recours au Trésor de Brunetto Latini. Ici encore, M. Springer a mis hors de doute, par une série de rapprochemens, les emprunts faits par le Florentin du XVe siècle à son compatriote du XIIIe. Enfin, Pline lui-même, le crédule naturaliste romain, a été mis à contribution. Comment cet esprit si libre a-t-il pu prendre la peine d’analyser, — je n’ose pas dire d’accueillir, — Tant de croyances absurdes, où le basilic, le phénix, les sirènes, sont décrits comme des êtres réels? Il n’a pour excuse que l’exemple des plus éminens d’entre ses contemporains.

Léonard ne s’est point toutefois borné à une simple compilation. Plusieurs comparaisons ou maximes révèlent une note personnelle. C’est ainsi qu’il dit du lion : « On peut le comparer aux fils (aux sectateurs) de la vertu, qui se réveillent au cri de la gloire et s’élèvent par des études honorables, grâce auxquelles ils montent toujours davantage. Quant à ceux qui sont rebelles à ce cri, ils s’enfuient et se séparent d’avec les hommes vertueux. »

Des Bestiaires à la chiromancie, il n’y a qu’un pas : la curiosité de Léonard était trop vive pour qu’il ne cherchât pas, comme un autre Faust, à étendre ses connaissances au monde de l’invisible et du magique : sur la liste de ses livres figure un Traité de chiromancie. Cependant dans son Traité de peinture (chapitre CCXCII) il condamne formellement cette prétendue science, ainsi que la Physionomie. Fidèle à ses habitudes, il proteste, non point a priori; mais après vérification, ce qui donne un poids tout particulier à son argumentation. « T’attaches-tu aux lignes de la main, dit-il, tu découvriras que de grandes armées sont mortes à la même heure sous le fer, et que chez chaque victime les signes étaient absolument différens, et de même dans des naufrages » Partout, on le voit, se révèle non point le philosophe à système, mais, ce qui vaut mieux à mon avis, le penseur.


Dans le domaine des sciences naturelles, les relations de Léonard avec un célèbre professeur de l’université de Pavie, Marc-Antonio délia Torre, furent bien autrement intéressantes que la lecture des auteurs anciens. Ce savant, qui avait pour patrie Vérone, cité chère aux études classiques, et pour père un médecin distingué, professeur à l’université de Padoue, fut un des premiers qui s’affranchirent du joug des Arabes pour s’attaquer de nouveau, sous les