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de grands-vizirs ou de pachas ottomans furent de naissance grecque, albanaise ou slave !

L’empereur byzantin procédait de quatre origines distinctes. De par la tradition, il était le successeur direct des Césars romains, l’Imperator, le chef militaire, et en même temps le législateur, la loi vivante. Grâce à la substitution des Hellènes aux Latins comme race dirigeante, il était devenu le Basileus, c’est-à-dire le chef de l’hellénisme. Sous l’influence toujours croissante des idées et des mœurs de l’Asie, son pouvoir avait pris la forme despotique : il était le Maître (despotès), l’Autocrate (autocratôr), un homme de palais et de harem. Après le triomphe définitif du christianisme, il fut l’Isapostolos (semblable aux apôtres), comme le pontife de Rome s’appelle, dans nos vieux auteurs français, l’apostole ; il était, en effet, l’apôtre armé, et, suivant l’expression du grand Constantin, l’évêque des choses du dehors. Il était, concurremment avec le patriarche, le chef suprême de la religion orthodoxe. En Orient aussi, le patriarche et l’empereur, ce sont les « deux moitiés de Dieu. »

Les quatre personnages qui sont en lui, étant issus d’origines si différentes, entrent parfois en conflit et en lutte. Souvent l’homme du palais et du harem fait tort en lui à l’homme des camps, et Byzance a des empereurs fainéans. L’Imperator introduit dans la conduite de l’Isapostolos des procédés violens, lui prête sa main rude de militaire, oublie qu’il n’a pas, à lui tout seul, le dépôt de l’orthodoxie, et Byzance a des empereurs hérétiques, comme les ariens Constance et Valens, iconoclastes, comme les princes de la première maison arménienne et de la maison phrygienne, persécuteurs par zèle orthodoxe, comme Alexis Comnène, ou bien entrant en lutte avec le patriarche pour la primauté et donnant à l’Orient le pendant de la querelle des investitures d’Occident.

Le mal est qu’aucune de ces quatre origines n’a donné à la monarchie byzantine ce qui est l’essence même d’une monarchie : la fixité du droit de succession. La Rome des empereurs ne l’avait pas connu ; elle n’avait jamais eu de dynastie impériale, parce que le principe de l’élection était censé être toujours en vigueur. L’hérédité du pouvoir n’est pas non plus une idée grecque. L’Orient asiatique ne suggérait aucun exemple qui put faire loi : la succession des rois de Perse ou des khalifes de Bagdad, pour des raisons diverses, a été aussi incertaine et hasardeuse que celle des empereurs romains. Enfin l’idée chrétienne n’avait point pour corollaire essentiel l’hérédité de la couronne.

Il y avait plusieurs manières légales, à Byzance comme à Rome, de devenir empereur. La première, la primordiale, c’était l’élection par le sénat et le peuple ; mais à Byzance le sénat n’était