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lui retirer le pouvoir législatif. L’empereur avait beau, en principe, être l’auteur de la loi : elle le limitait et le contenait. Si le Coran a pu parfois servir de frein au despotisme, combien mieux la loi romaine avec sa majesté et sa clarté souveraines! En principe, c’était l’empereur qui légiférait; en réalité, un corps de jurisconsultes, imbus de la tradition et qui, sous les souverains les plus ignares et les plus ineptes, sous un Michel l’Ivrogne aussi bien que sous un Basile le Grand, gardaient intact le dépôt de la doctrine, opposaient aux caprices et à la mobilité du prince la fixité du droit écrit. Le sénat n’est rien, et il est tout. Les successeurs de Léon VI continuent à soumettre à l’approbation de cette haute assemblée les lois les plus importantes ; ils lui demandent des juges pour les grands procès politiques ; aucun avènement d’empereur, fût-ce à la suite d’un complot ou d’une révolte militaire, qui ne réclame la sanction du sénat, au même titre que le consentement du peuple et la bénédiction du patriarche. Presque toutes les grandes charges sont aux mains de familles sénatoriales ou donnent accès dans le sénat. Il est ce que les Russes du XVIIIe siècle appelaient la généralité, c’est-à-dire la réunion des généraux et des chefs de service. Il est le centre de ralliement de l’aristocratie byzantine, car à Byzance, il y avait une noblesse, noblesse administrative, il y est vrai, mais dont les membres trouvaient dans les charges mêmes qu’ils tenaient de l’empereur, dans l’importance qu’ils leur avaient conférée, des moyens de lui résister. Ils savaient, comme nos vieux parlementaires français, présenter des remontrances, apporter une sage lenteur à l’exécution des ordres qu’ils désapprouvaient, opposer au torrent du caprice la force d’inertie, amener l’empereur à résipiscence, ou, lorsque sa tyrannie était tout à fait débridée, lui préparer dans l’ombre un successeur.

En second lieu, il y avait un clergé, groupé autour du patriarche et du saint-synode; et qui, malgré sa sujétion, possédait une autorité immense. Il supportait, il tolérait beaucoup, mais sa condescendance avait des limites. A l’occasion, il se rencontrait des hommes comme Théodore le Confesseur, comme Théodore le Stigmatisé, comme le patriarche Nicolas, qui protesta contre les quatrièmes noces de Léon VI, comme le patriarche Polyeucte, qui blâma ouvertement le mariage de Nicéphore Phocas avec la femme de son prédécesseur et ensuite flétrit les assassins de ce même Nicéphore.

Ainsi, le clergé et la noblesse, le saint-synode d’une part, le sénat de l’autre, c’est, comme dans notre ancien régime, le droit des parlemens et le droit des assemblées du clergé limitant le despotisme d’un Louis XIV.