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anormal, c’est l’homme honnête ! En effet, tous les « organismes » ravagent, pillent, assassinent et font ce qu’ils peuvent faire pour leur avantage, sans mélange de sentimens « altruistes. » Qu’est-il arrivé ? Les hommes, ces singes inférieurs, se sont décidés, à une certaine époque de leur développement « phylogénétique », à ne plus vivre solitaires et à former un état : à partir de ce moment, ils ont dû cesser d’agir comme la grande majorité des « organismes, » c’est-à-dire que chacun d’eux a été contraint de garder certains égards envers les autres membres de l’État. « Les hommes anormaux, c’est-à-dire les hommes honnêtes, tuent et punissent les hommes normaux, précisément parce que ceux-ci ne veulent pas se laisser anormaliser ! » Les classiques ne furent pas contens. C’est du dilettantisme ! s’écria M. Lacassagne. La thèse est « paradoxale jusqu’à l’invraisemblance, » remarqua M. Lombroso, qui n’hésitait pas cependant à proclamer, dans le même congrès, « l’étroite fraternité de l’homme et du singe. » Ni plus paradoxale, ni plus conjecturale, à notre avis, que la thèse de la réapparition ancestrale et de la « régression » vers l’âge de pierre. Mais puisque M. Albrecht a prêché dans le désert, laissons l’hérésiarque et revenons aux orthodoxes.

La série des observations auxquelles se sont livrés M. Lombroso et plusieurs de ses disciples pour établir la dégénérescence atavique des criminels les conduit à reconnaître ou à supposer l’existence d’un type criminel. Le criminel ne nous offre non seulement les instincts et les sentimens, mais l’organisation physiologique et le type de l’homme primitif que le cours des siècles et la marche ascendante de la civilisation n’ont pas modifié. M. Lombroso raconte encore, dans des communications faites en juin 1888 à la Revue scientifique et à la Rivista di antropologia criminale, qu’il a photographié synthétiquement six crânes d’assassins, six crânes de voleurs de grand chemin, et que ces deux portraits complexes présentent les caractères de l’homme criminel, c’est-à-dire, au moins par certains côtés, ceux de l’homme sauvage : sinus frontaux très apparens, apophyses zygomatiques et mâchoires très volumineuses, etc. Toutefois nous nous hâtons de reconnaître que l’éminent professeur a, deux ans plus tard, présenté la même thèse au public sous un aspect un peu différent : « En progressant, lit-on dans l’Anthropologie criminelle et ses récens progrès (Paris, 1890), nous avons vu qu’il n’y a pas un seul type de criminel, mais plusieurs types spéciaux de voleur, d’escroc, de meurtrier, bien évidens. « Il n’importe, car une des deux conceptions vaut l’autre.

L’histoire de l’anthropologie offre, à ce point de vue spécial,