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aux recherches de la police ? » Dès 1885, M. Pugliese n’avait-il pas soutenu devant le congrès international de Rome, qu’il fallait, au début des procès criminels, scruter non-seulement « les conditions du milieu où le phénomène s’était produit, » mais encore « les précédens somatiques et psychiques » du prévenu ? Or on n’a que taire, pour une telle besogne, de magistrats versés dans l’étude des Pandectes : la criminologie positiviste ne peut pas supporter que des licenciés en droit participent à l’administration de la justice criminelle ; elle regarde les jurisconsultes comme une gent routinière, imbue de sots préjugés, et nous assigne probablement, dans sa théorie de la réapparition ancestrale, des aïeux peu considérables. C’est donc le personnel des juges instructeurs qu’il faut renouveler d’abord : on les remplacera, comme l’exige M. Garofalo, par des hommes nourris du suc des sciences anthropologiques et qui pourront « discerner l’une de l’autre les classes de délinquans par leurs caractères anthropologiques et psychologiques. » Toutefois il est à craindre qu’on n’arrive pas du premier bond à cette transformation radicale et que le personnel, même épuré, ne laisse longtemps à désirer. On devra donc appeler, à chaque phase de la procédure, des experts anthropologues.

L’emploi des experts dans l’instruction criminelle n’est pas une nouveauté : même aujourd’hui, sous l’empire de la législation qu’il s’agit d’abolir, le juge les consulte sans cesse. Ces coups, ces blessures étaient-ils de nature à donner la mort ? ont-ils été suivis d’une infirmité permanente ? quelle incapacité de travail ont-ils occasionnée ? cette substance est-elle un poison mortel ? cette femme a-t-elle été violemment outragée ? Le délinquant est-il sain d’esprit ou n’a-t-il plus la plénitude de sa responsabilité morale ? On appelle des médecins ou des chimistes pour préparer la solution de ces questions techniques, et leurs conclusions sont non-seulement accueillies avec la plus grande déférence, mais généralement adoptées. Dans la nouvelle procédure, le rôle de l’expert sera démesurément agrandi. Tant qu’il s’agit de prononcer sur la culpabilité d’un homme à l’aide du bon sens et de l’équité naturelle, le juge est au premier plan ; dès que tout devient la matière d’une investigation scientifique, l’expert absorbe le juge. Il faut transporter, a dit logiquement M. Ferri, le droit de prononcer de ceux qui ne savent pas à ceux qui savent. Encore une fois, s’il faut se décider, quelle que soit la nature de l’accusation, d’après l’inspection anthropologique et physiologique du délinquant, la juridiction d’instruction, comme la juridiction de jugement, devient un rouage tout à fait secondaire. Ce qui importe, c’est le résultat des expériences faites, par exemple, conformément aux indications