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ou de plus inhumain, — disent-ils, — que de vouloir ainsi passer sur toutes les têtes, au nom d’un principe théorique et d’un idéal abstrait, le lourd niveau des mêmes définitions, des mêmes règles, ou des mêmes lois ? Laissons aller le monde; que chacun se montre tel qu’il est; s’il découvre en soi quelque défaut original, ou le germe de quelque vice inédit, qu’il le cultive, bien loin de le détruire; et qu’il s’en fasse, s’il le peut, un moyen d’existence littéraire, une réclame, et des rentes.

Contre ces théories, je ne saurais ici discuter les principes de la classification des genres : il y faudrait trop de place et de temps. Mais ce que je me contenterai de répondre à nos impressionnistes, c’est qu’ils n’ont peut-être assez réfléchi ni sur la nature de la classification, ni sur celle de la comparaison ? Ne serait-il pas, en effet, bien extraordinaire que, dans un siècle comme le nôtre, où la méthode comparative a presque tout renouvelé, la critique seule dût se l’interdire, pour ne pas s’exposer aux plaisanteries de quelques philologues ou de quelques anatomistes, lesquels ne vivent, dans leurs séminaires ou dans leurs laboratoires, que de « comparer » de vieux textes ou de vieux os entre eux? Quoi, ce serait une besogne utile, intéressante, et féconde, que de comparer le « calcaneum » ou le « naviculaire » des Lémuriens avec celui des Simiades, le mètre et les « assonances » de la chanson de Roland avec les « assonances « ou le mètre de la chanson d’Aïol; et ce serait perdre son temps que de comparer la tragédie de Racine avec le drame de Shakspeare, ou le roman de Fielding avec celui de Balzac? Mais la « relativité » des choses, qu’en fait-on donc? Un homme n’est ni grand, ni petit, ni maigre, ni gras, ni beau, ni laid; il est seulement plus laid ou plus beau, plus gras ou plus maigre, plus petit ou plus grand qu’un autre, que les autres, que la moyenne de sa race ou de son espèce. C’est ainsi qu’une œuvre d’art n’est ce qu’elle est, n’achève de l’être, ne l’est pleinement et décidément qu’autant qu’on la compare elle-même avec une autre. Zaïre serait une belle tragédie si Bajazet n’existait pas; et nous lirions sans doute encore avec avidité le Doyen de Killerine ou Cleveland, si nous ne connaissions pas les romans de George Sand et de Balzac. Tous les progrès que la critique peut se flatter d’avoir accomplis dans ce siècle, c’est à ce genre de comparaison qu’elle les doit; et il est possible, si l’on y tient, que cette manie de comparer soit un signe de lenteur ou d’étroitesse d’esprit; mais, en attendant, je ne la recommande pas moins à tous ceux qui croiront devoir mettre la vérité au-dessus d’eux-mêmes et des intérêts de leur propre talent.

Quant au pouvoir, et, si je puis ainsi dire, quant à la vertu de la classification, tant de philosophes, tant de savans en ont si bien parlé que je ne sais trop lequel il faut que j’appelle à mon aide ici, d’un