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successeurs : personne ne laissera de plus doux souvenirs et n’aura mieux représenté jusqu’au bout l’honneur dans la vie, la supériorité dans un art charmant.

Les années passent pour les états comme pour les hommes, pour toutes les nations de l’Europe et du monde comme pour la France. Elles se succèdent rapidement, affairées, agitées, — elles ne se ressemblent pas toujours.

Elles laissent l’Europe tour à tour à demi rassurée ou inquiète du lendemain, parce que depuis longtemps elle vit sous cette perpétuelle obsession d’une crise jusqu’ici heureusement ajournée, mais toujours possible, toujours redoutée. Il n’y a qu’une compensation : c’est qu’on finit par s’y accoutumer, par se dire que ce qui a duré déjà vingt ans pourrait durer encore, que s’il y a bien des élémens inflammables répandus à la surface du continent européen, il y a aussi dans les intérêts, dans le sentiment universel des peuples une force de préservation contre les grands conflits. Rien, d’ailleurs, n’indique pour le moment que cette année qui finit, qui s’est passée en paix, doive être suivie d’une année de troubles extérieurs et de guerre. Nations et gouvernemens semblent trop occupés de leurs entreprises lointaines ou de leurs affaires intérieures, pour songer à une politique d’agression et d’agitation. Ce n’est sûrement pas la France, quelles que soient ses blessures intimes, qui peut être suspectée d’être un trouble-fête : elle n’a jamais été plus mesurée dans ses actions et dans son langage. La Russie, sans cesser d’être recueillie dans sa force, a donné depuis quelques années des gages si évidens de sa modération dans les affaires d’Orient qu’elle ne peut être accusée de chercher les conflits. L’Angleterre, si jalouse qu’elle soit de défendre ou d’étendre son empire sur tous les continens, tient certainement plus que toute autre nation à prolonger la paix européenne. L’Autriche a chez elle, dans ses provinces, en Bohême, jusqu’en Hongrie aujourd’hui, toute sorte de difficultés intimes qui suffisent à occuper sa politique. L’Allemagne elle-même, il faut l’avouer, a des airs assez pacifiques, avec tous ses projets de réformes intérieures, — elle a un peu moins souvent de ces accès de fièvre belliqueuse que M. de Bismarck lui donnait à volonté, quand il en avait besoin. Nations et gouvernemens, en un mot, semblent d’accord pour éviter les querelles et les incidens. Il en sera sans doute de l’avenir ce qui pourra, ce que voudront les augures qui ne disent pas toujours leurs secrets. Pour l’instant, on n’en est pas là, et, par le fait, cette année qui s’achève pacifiquement aujourd’hui aura été moins une année de grands et dangereux débats européens qu’une année d’expériences intérieures, de tentatives réformatrices, de luttes d’opinions, d’élections, même de révolutions ministérielles dans plus d’un pays.

Évidemment, il y a depuis un an quelque chose de changé en Allemagne,