Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui vous égare et qui vous casse le cou en vous conduisant dans un précipice qui est couvert de fleurs. « — Notez que le correspondant à qui ces lignes bucoliques étaient adressées avait été employé à de délicates négociations et savait parfaitement à quoi s’en tenir sur leur sincérité. Mais les grands acteurs aiment à jouer la comédie même devant ceux qui les voient rire sous leur masque[1].


I.

Quand Frédéric invitait le nouveau stathouder de Hollande à travailler avec lui au rétablissement de la paix, ni lui ni personne n’avait assurément l’illusion que de tels conseils seraient écoutés. Ce n’était pas d’une contrée en feu, où une invasion armée venait de susciter une réaction révolutionnaire, que pouvaient venir des inspirations pacifiques. Ce qui fut plutôt surprenant, c’est qu’après une si vive impulsion belliqueuse donnée de part et d’autre, la guerre, engagée aux portes mêmes du pays menacé, subit un temps d’arrêt inattendu de quelques semaines comme si assaillans et défenseurs eussent craint également d’en venir aux mains.

De la part de l’armée des puissances coalisées, cette hésitation s’expliquait assez naturellement. A la première nouvelle de l’entrée des troupes françaises en Zélande, Cumberland, qui s’était fait investir du commandement suprême, avait cru, je l’ai dit, pouvoir parer le coup en venant mettre lui-même le siège devant Anvers : il se flattait de prendre les agresseurs à revers et au dépourvu et de ne trouver dans la place qu’une garnison réduite et insuffisante. Mais la rapidité des succès enlevés par Maurice avait trompé son attente, et, craignant de se voir en face du vainqueur si promptement de retour, il avait dû arrêter sa marche, retardée d’ailleurs déjà par la formation lente et irrégulière des contingens autrichiens et hollandais qui étaient placés sous ses ordres. Il restait campé dans un espace étroit entre les deux affluons de l’Escaut qui portent le nom de la petite et de la grande Nèthe.

De là il surveillait et tâchait de deviner le prochain mouvement de son adversaire. Si Maurice continuait à procéder comme il avait

  1. Valori à Puisieulx, 2 juin 1747. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Rothembourg, 24 juillet 1747. (Correspondance générale.) — Rothembourg est l’envoyé que Frédéric avait chargé en 1744 de négocier avec la France le traité qui précéda la seconde guerre de Silésie et qui disait à cette occasion à Valori : Il faut une pâture à mon oiseau. — Frédéric et Louis XV, t. II, p. 124.