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Si cette humeur frondeuse n’avait été le fait que des courtisans, des nouvellistes ou d’une jeunesse trop ardente, Maurice, accoutumé aux mauvais propos, s’en serait médiocrement soucié ; mais la présence du roi, qu’il n’avait probablement pas souhaitée, vint lui donner un plus sérieux embarras. Louis XV arrivait précipitamment, faisant violence au désespoir de Mme de Pompadour qui, peu de jours auparavant, écrivait encore au comte de Clermont : — « J’ai pris des eaux ces derniers jours pour une bile affreuse qui m’est causée par l’attente du moment qui s’approche et que ma mort certaine ne me ferait pas reculer quand il sera nécessaire pour la gloire de celui à qui je suis attachée. » — Afin d’éviter le cruel moment des adieux, le départ eut lieu, nous dit Luynes, de grand matin, par un escalier de derrière du palais, sans que personne, même la reine, fût prévenu de l’heure exacte. Tant de hâte ne pouvait s’expliquer que par l’attente d’un événement décisif et la crainte d’en manquer l’occasion. Le roi avait cru sans doute que tout allait se passer comme à Fontenoy, où il était arrivé à point comme au théâtre, tout, acteurs et décorateurs, étant prêt à lui donner le spectacle d’une bataille. Quand, au lieu de cette entrée de jeu brillante il lui fallut voir des jours, puis des semaines s’écouler dans une inaction monotone, l’ennui le prit : ce mal lui était familier, et il le laissa si bien voir sur son visage qu’à Paris même on en fut informé : « A l’armée de Flandre, écrit Barbier dans son journal, on ne fait que des mouvemens sans rien entreprendre encore, ce qui fait dire que le roi s’ennuie. » Chacun alors se mit à se plaindre, à trouver comme lui le temps long et à faire tout haut des vœux et même des plans d’attaque pour sortir de cette torpeur[1].

Enfin, il n’y eut pas jusqu’au ministre de la guerre lui-même, le comte d’Argenson, qui, bien qu’ayant su se faire épargner dans

  1. Mme de Pompadour au comte de Clermont, 21 mai 1747. (Ministère de la guerre. Papiers de Condé.) — Journal de Luynes, t. VII, p. 230. — Journal de Barbier, juin 1747. — « Comme le Français est impatient, ajoute Barbier, on a fait courir le bruit qu’un secrétaire de M. le maréchal de Saxe trahissait et donnait depuis un temps avis aux ennemis des marches qu’on pouvait faire. Ce couplet du temps, fait sur un refrain connu, donne aussi l’idée des propos qu’on tenait déjà pour rabaisser la gloire de Maurice :

    Que Maurice, ce fier-à-bras,
    Pour avoir forcé de se rendre
    Cités qui ne résistaient pas,
    Soit plus exalté qu’Alexandre.
    Ah ! le voilà, ah ! le voici!
    Celui qui n’en a pas souci.

    Voir aussi Journal de d’Argenson, t. V, p. 84.