Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire à Belle-Isle un devoir et un mérite de s’y associer : « Aucun des dangers lui écrit-il, que vous faites envisager comme devant être une suite nécessaire de cette marche, n’a échappé à la pénétration de Sa Majesté, mais des motifs supérieurs ont déterminé la résolution qu’elle vient de prendre, de céder aux instances et aux désirs de la cour de Madrid... La crise est violente et je vous avoue que je ne puis y penser de sang-froid; mais le roi, après avoir mûrement pesé tous les risques, a pris sa résolution avec une fermeté et un désintéressement dignes de la grandeur de son âme, et Sa Majesté compte trop sur votre zèle pour son service pour n’être pas bien persuadée qu’en soumettant votre juste répugnance aux raisons qui l’ont décidée, vous lui donnerez de nouvelles preuves de votre respect et de votre attachement... Je sais avec quelle noblesse vous subordonnez toute autre considération aux volontés du roi et au bien de son service. Au reste, quel que puisse être l’événement, Sa Majesté vous saura toujours gré de ce que vous croirez devoir et pouvoir faire pour la parfaite exécution de ses ordres. — J’ai vu et lu toutes vos lettres, écrit-il encore peu de jours après, monsieur le maréchal, Sa Majesté ne vous rendra sûrement pas responsable des événemens. Elle est convaincue que, quoique la nécessité l’ait obligée à tenir une route dangereuse et tout opposée à votre opinion, vous n’en aurez pas moins mis d’attention à faire réussir le projet de M. de La Mina. »

Puis c’est le tour du comte d’Argenson : — « Je sens tout le poids de la besogne dont vous allez être chargé ; mais je vous demande en grâce, par l’amitié que j’ai, que j’aurai toute ma vie pour vous, de vous y livrer comme si elle était de votre choix et de votre goût[1]. »

Le maréchal de Noailles enfin répond lui-même à Belle-Isle, et, sentant bien qu’il n’était pas possible de prendre au sérieux le motif tiré de la nécessité de courir promptement au secours de Gênes, puisque (ce que Belle-Isle mettait en doute) c’était précisément la possibilité d’arriver à Gênes par la voie directe, il se met en devoir de donner, non sans embarras, les vraies raisons et ce qu’il appelle les raisons politiques de l’épreuve à laquelle le roi se décide à soumettre son général et son armée : ces raisons d’ordre supérieur, c’est en deux mots la subordination pure et simple aux volontés et aux fantaisies de l’Espagne. — « Il n’est pas douteux, dit Noailles, que l’Espagne ne se déterminera jamais à agir par la seule voie du Dauphiné : on lui a exposé toutes les difficultés d’agir par la côte de la mer, et elles ne l’ont point détournée

  1. Puisieulx à Belle-Isle, 28 juin. — D’Argenson à Belle Isle, 30 juin 1747. (Ministère de la guerre. — Partie supplémentaire.)