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dans les Upanishads, on rencontre la même foi dans la puissance de la parole articulée, les mêmes prescriptions absolues et innombrables, les mêmes formules étranges, les mêmes énumérations de gestes bizarres. Tous les jours, depuis plus de vingt-cinq siècles, puisque le bouddhisme fut une protestation contre le despotisme et la folie des rites, cette race a mécaniquement passé par cet engrenage, aboutissant à quelles déformations mentales, à quelles attitudes habituelles de l’esprit et de la volonté, ils sont à présent trop différens de nous pour que nous puissions le concevoir. Un nègre, un sauvage de la Terre-de-Feu, nous ressemblent davantage. Ils sont plus simples que nous, plus voisins de la vie animale, mais en retranchant de nous-mêmes l’acquis instable de notre civilisation, nous retrouvons enfouis, mais vivant encore au plus profond de notre âme, le plus grand nombre de leurs instincts. Au contraire, l’âme hindoue est aussi complètement développée que la nôtre; sa végétation est aussi riche, mais elle est extraordinaire. On reste stupéfait devant le pêle-mêle des notions, selon nous incohérentes et absurdes, qui forment le fonds permanent de leur esprit. Le premier venu d’entre eux appartient à une caste dans laquelle, comme ses aïeux, il se trouve inexorablement enfermé. Au fond l’idée de caste se ramène à l’idée d’espèce animale. La distinction est de même nature entre un chien et un taureau qu’entre un coudra et un brahme. De là l’horreur qui s’attache à la pensée d’un mariage entre gens de castes différentes. Notez qu’aujourd’hui les castes sont aussi nombreuses que les professions. Chaque Hindou est donc ne prêtre ou médecin, scribe ou potier, forgeron ou ciseleur; il se croit perdu si un homme de caste inférieure touche à sa nourriture ou mange à son côté. S’il quitte l’Inde, s’il traverse la mer, il devient paria, c’est-à-dire qu’il perd ses parens et ses amis, qu’il ne peut plus ni vendre, ni acheter, manger ou vivre avec personne. Il est souillé, et rien n’effacera la souillure que la purification suprême, que la purification par la vache. Ayant donné de grandes sommes d’argent aux brahmanes et réuni les hommes de sa caste, il avale les quatre produits du plus sacré des animaux, une pâte faite de lait, de beurre, d’urine et de fiente. Car cette vache est une des hautes incarnations de Dieu, inférieure au brahmane, mais supérieure à presque toute l’humanité. Nulle matière plus précieuse que son fumier; les démons n’approchent point la maison qui en est enduite.

Notre Hindou a beaucoup de dieux, étranges dieux qui sont peu faits pour donner des habitudes d’ordre et de clarté à la cervelle qui s’efforce de les concevoir. Au fond, presque tous sont des êtres métaphysiques si abstraits qu’ils échappent à la prise d’une intelligence ordinaire. Par exemple, Kali est « l’énergie de Siva, » et