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chemises, des cordelettes enchantées par leur séjour autour de cette idole. Telles étaient les accusations majeures. Il y en avait d’autres : le grand-maître, quoique laïque, se serait cru le droit d’absoudre les frères de leurs péchés ; les biens étaient mal acquis, l’hospitalité mal exercée, les aumônes mal faites. Le réquisitoire représentait tous ces crimes comme recommandés par une règle secrète de l’ordre, depuis une très haute antiquité.

Les officiers de Philippe le Bel pratiquèrent dans tous les « Temples » de France de sévères perquisitions, en vue d’y découvrir des objets compromettans, à savoir : 1° des exemplaires de la règle secrète ; 2° des idoles ; 3° des livres hérétiques. Ils ne trouvèrent (nous avons leurs inventaires) que quelques ouvrages de piété et des livres de comptes ; çà et là, des exemplaires de la règle de saint Bernard. A Paris seulement, Guillaume Pidoye, administrateur des biens séquestrés, présenta aux commissaires de l’inquisition « une tête grande, belle, en argent doré ; elle avait la figure d’une femme et renfermait des fragmens de crâne enveloppés dans un linge blanc cousu. Elle portait une étiquette : Caput LVIII. Les ossemens ressemblaient à ceux d’une petite tête de femme, et on disait qu’ils avaient appartenu à l’une des onze mille vierges. » Les archéologues reconnaîtront à cette description un de ces reliquaires très communs, en forme de tête parce qu’ils étaient censés renfermer les os du crâne d’un bienheureux, comme il y en a dans presque tous les trésors ecclésiastiques du XIIIe siècle. Ce reliquaire était exposé, sans doute, les jours de fête, à la vénération des templiers, et il n’est pas impossible que des chevaliers aient parfois déposé dessus, pour les sanctifier, les cordelettes ou scapulaires dont la règle primitive leur imposait de se ceindre continuellement, en signe de chasteté ; mais il n’y a point là d’idole ni d’idolâtrie, si les reliquaires des cathédrales ne sont point des idoles, si les fidèles qui font toucher les reliques aux malades, à leurs vêtemens, à leurs chapelets, ne sont point des idolâtres.

L’enquête ne produisit donc contre l’ordre aucun document matériel, aucun de ces « témoins muets » dont parle un ancien historien. Toute la preuve repose sur des témoignages oraux qui, avant d’être admis, peuvent et doivent être attentivement critiqués.

Or ces dépositions, si nombreuses qu’elles soient, perdent toute valeur si l’on considère qu’elles ont été arrachées par la procédure inquisitoriale. L’expérience de plusieurs siècles montre qu’à l’aide de cette procédure on faisait avouer aux gens tout ce qu’on voulait : les maléfices, les rapports avec Satan, les cavalcades à travers l’espace sur le manche à balai des sorcières. Rappelons-nous le mot d’Aimery de Villiers-le-Duc : « J’avouerais que j’ai tué Dieu. » Les dépositions des templiers qui ont avoué ne prouvent rien ;