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zèle avec l’intérêt, les talens avec le charlatanisme[1]. » La froideur du premier accueil que reçut La Fayette avait tout air d’un congé.

Dès son arrivée à Philadelphie, il avait remis les lettres de Franklin et de Deane à M. Lowel, président du comité des affaires étrangères. Le lendemain, il se rendit au congrès. M. Lowel sortit et lui fit connaître qu’il n’y avait pas d’espoir que sa demande fût accueillie. Sans être déconcerté par le langage des députés qui vinrent ensuite lui parler, La Fayette les pria de rentrer dans la salle du congrès, et, soupçonnant que ses papiers n’avaient pas été lus, il écrivit le billet suivant, avec prière au speaker d’en donner lecture publiquement : « D’après mes sacrifices, j’ai le droit d’exiger deux grâces : l’une est de servir à mes dépens, l’autre est de commencer à servir comme volontaire. » Un style aussi nouveau réveilla l’attention ; on ouvrit les dépêches de Deane et de Franklin, et, le 31 juillet, le congrès des États-Unis prit une résolution conçue en ces termes :

« Attendu que le marquis de La Fayette, par suite de son grand zèle pour la cause de la liberté, dans laquelle les États-Unis sont engagés, a quitté sa famille et les siens et est venu à ses frais offrir ses services aux États-Unis sans réclamer ni traitement ni indemnité particulière, et qu’il a à cœur d’exposer sa vie pour notre cause ;

« Résolu : que ses services sont acceptés, et que, en considération de son zèle, de l’illustration de sa famille et de ses alliances, il aura le rang et la commission de major-général dans l’armée des États-Unis. »

Il lui restait à voir Washington. Les combinaisons militaires avaient contraint le général à se rapprocher du siège du gouvernement : l’armée anglaise, forte de 18,000 hommes environ, avait fait voile de New-York ; les deux Howe s’étaient réunis pour une opération secrète, tandis que Clinton, resté à New-York, y préparait de son côté un mouvement. Toutes les forces britanniques étaient donc en mouvement. Pour parer tant de coups, Washington, laissant Putnam, son lieutenant, sur la Rivière du Nord, avait passé le Delaware avec 11,000 hommes et était venu camper à portée de Philadelphie.

La Fayette lui fut pour la première fois présenté à un dîner où assistaient plusieurs membres du congrès. Au moment où l’on allait se séparer, Washington prit La Fayette à part, lui témoigna beaucoup de bienveillance, le complimenta sur son zèle et sur ses sacrifices, et l’invita à regarder le quartier-général comme sa maison. Il ajouta, en souriant, qu’il ne lui promettait pas le luxe d’une

  1. Voir Sparks et les Mémoires de ma main, t. Ier.