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Les figures mêmes de Madeleine, de Didier et de la marquise, les plus intéressantes et les mieux tracées, ne sont pas à l’abri de tout reproche. La scène entre les deux fiancés, au couvent, malgré la poésie qui l’enveloppe, malgré les roses et les cantiques d’un cloître qui rappelle un peu celui du Domino noir, cette scène, écrite du meilleur style et plus d’une fois touchante, ne nous a pourtant satisfait qu’à demi. « Je ne vous aime plus, » balbutie Madeleine; mais de ces lèvres, même contraintes et tremblantes, comment peut tomber un si cruel mensonge? Quelle jeune fille, je le demande à celles qui peut-être nous lisent, n’aurait dit plutôt à Didier : On ne veut plus que je vous aime ! »

Plus encore que Madeleine, Didier nous a désorienté. Au début du quatrième acte, après la révélation fatale, nous l’avons vu agité, nerveux. Les livres, les médecins qu’il consultait semblaient d’abord ne lui répondre que par des menaces ; la mère elle-même croyait que le mal commençait son œuvre et que l’idée fixe avait déjà saisi l’enfant. Elle se trompait, et nous avec elle, et c’est Didier qui nous trompait. Tout d’un coup il nous désabuse, mais d’un coup trop brusque et qui nous déconcerte. Nous ne comprenons pas comment, encore moins pourquoi ce visage tourmenté s’apaise, pourquoi ces yeux que hantait déjà l’affreuse vision s’illuminent d’espérance et de joie. Il y a là dans l’âme du jeune homme une volte-face inintelligible, et qu’il eût fallu d’autant mieux préparer d’abord ou justifier ensuite, qu’elle décide du dénoûment, qu’elle est ce dénoûment lui-même.

Enfin, dans le beau rôle de la mère, il reste encore un point faible (ou fort, car il a été très discuté), au moins un point douteux: c’est la scène où la marquise d’Alein, pour arracher Didier à la menace de la folie, pour chasser de son cerveau l’idée funeste qu’il est le fils d’un fou, va presque jusqu’à lui laisser entendre que ce fou n’était pas son père, et qu’elle, sa mère, a failli. Le moyen est pathétique, d’autant plus que le complice choisi par la marquise et présent à la tentative hardie est le vieil Hornus, qui jadis a secrètement aimé la mère de son élève. Ce mouvement, c’est là ce qui l’excuse et peut-être le sauve, amène chez Didier un contre-coup émouvant, une belle protestation de piété filiale sur laquelle a compté l’auteur avec raison; mais pourtant c’est là trop d’audace; l’effort est au-dessus, au-dessous plutôt, d’une mère. Dans le chef-d’œuvre dramatique de M. Daudet, l’Arlésienne, une autre mère allait, pour sauver son enfant, jusqu’à lui laisser épouser une coquine ; elle n’eût pas été plus loin. Et puis, comme tout à l’heure à toutes les fiancées, faut-il en appeler ici à tous les fils? En est-il un qui, à la place de Didier, mis entre les deux terribles héritages, préférerait celui de la faute, et de la faute maternelle, à celui du malheur?