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la marquise d’Alein, cette admirable, cette antique figure de Rose Marnaï. A l’honnête langage, un peu sentencieux et fleuri, du brave Hornus, il ne manquait rien que l’accent de Provence avec je ne sais quelle grandeur de la Bible ou d’Homère, pour qu’il fût digne du vieux pâtre Balthazar, Le précepteur et le berger n’ont-ils pas souffert du même mal, silencieux et stoïques tous deux? La nature enfin est pareille dans le chef-d’œuvre de M. Daudet et dans sa dernière œuvre, où l’on trouve encore des coins de paysage embaumés. Autour de Didier enfant, quand il lisait Virgile, Hornus nous conte que les abeilles d’or tourbillonnaient et semblaient s’échapper du vieux livre ; sur le cloître où s’est réfugiée Madeleine, sur le parc du jeune marquis d’Alein, menacé lui aussi dans sa raison et ses amours, le ciel est aussi bleu que sur la pauvre cour de ferme où se meurent les beaux vingt ans de Frédéri.

Remercions M. Daudet de s’être rappelé et de nous avoir rappelé l’Arlésienne, admirable drame autrefois méconnu, mais aujourd’hui, j’espère, à jamais glorifié ; note unique dans le théâtre contemporain et dont l’écho nous a enchanté. Remercions encore l’auteur de l’Obstacle de n’avoir pas traité en pièce à thèse, dans le sens fâcheux du mot, cette pièce où cependant une thèse aussi grave est effleurée. Je dis effleurée seulement, et de ce chef on a critiqué M. Daudet. Par cela seul qu’il a reporté deux ans après la naissance du fils l’explosion de la folie paternelle et qu’il a donné pour cause à cette folie non pas une prédisposition organique, mais un accident fortuit, il a, dit-on, tranché le nœud qu’il avait promis de dénouer. — Non, M. Daudet n’a pas, selon nous, éludé la question; il l’a seulement réduite et pour ainsi dire éloignée ; il y a vu un élément de drame et non pas un sujet de raisonnement et de démonstration. Plus de rigueur pathologique nous eût jetés dans la science pure, dans un calcul de probabilités médicales; serré entre des conditions plus strictes, la pièce ne passait plus, elle étouffait.

Que si d’ailleurs M. Daudet l’avait voulu, il pouvait prendre les choses d’une autre manière, voire de deux autres. Il pouvait à son choix, supposant toujours alors chez le feu marquis d’Alein la folie spontanée et antérieure à la naissance de Didier, il pouvait, dis-je, ou sauver le jeune homme ou le perdre, et donner ainsi la victoire, une victoire plus éclatante, j’en conviens, et plus décisive, à la liberté ou à l’atavisme. Ibsen, nous le disions au début, a montré dans ses Revenans un exemple de cette hérédité inéluctable, qui pourrait bien n’être elle-même, sous une forme compatible avec la science moderne, que le revenant du fatum antique. M. Daudet a choisi pour ainsi dire une solution mitigée. Il a mis les deux principes, les deux forces aux prises, mais il a adouci les conditions du combat.

M. Daudet enfin, dans ces quatre actes, ne disserte pas un instant;