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d’hiver et un village d’été : le premier en terre et le second en roseau.

Chaque village important a un aksakal ou chef qui prélève des impôts pour le gouvernement chinois. Nous ne manquons jamais de lui faire visite ; il nous offre du poisson excellent, du mouton, du lait et du thé, et nous fournit des guides que nous changeons plus loin : c’est pour nous un bon moyen d’avoir des renseignemens sur la contrée. On nous dit que le gibier s’y trouve en abondance. Nous voyons, en effet, beaucoup d’antilopes, de cerfs, de sangliers et même des tigres, mais nous n’avons guère le temps de nous attarder. Notre principale chasse est celle des petits oiseaux que nous tuons pour la collection, et cette recherche nous passionne.

C’est le 17 octobre que nous atteignons les bords du Tarim. Quoique un peu moins large, il me rappelle beaucoup le Nil ; c’est le même cours, lent, roulant, au milieu de bancs de sable, une eau boueuse. La rive gauche sur laquelle nous sommes est basse et marécageuse. De l’autre côté, des collines de sable sont marquées de stries parallèles qui indiquent la direction du vent. Sur ces monticules, quelques villages élèvent leurs cases cubiques, rappelant les petits chalets suisses posés sur un morceau de carton. Les habitans traversent le fleuve sur des pirogues faites d’un tronc d’arbre creusé qu’ils manient très facilement. Pour moi, je m’en défie, leur équilibre me semble instable.

Nous mettons plus de temps que nous n’avions compté pour aller au Lob-Nor ; c’est que nous sommes loin de marcher en ligne droite, étant obligés de faire de nombreux détours pour éviter des inondations produites par le Tarim.

Le 24 octobre, nous traversons un bras du Tarim, d’une quinzaine de mètres de large, à un endroit appelé Arkan. Nous nous trouvons maintenant sur la rive droite du fleuve ; il coule majestueusement entre des plaines d’herbes desséchées et de petits bois de peupliers sans feuilles ayant de loin l’air de forêts.

Le 28 octobre, nous arrivons au Kara-bouran, qui est à l’extrémité ouest du Lob-Nor. Nous ne pouvons que jeter un coup d’œil sur ce fameux lac qui est réputé si difficile à atteindre et que nous sommes les premiers Français à voir, puisque avant nous Prjévalsky et Carey seuls y sont allés.

La route longe de petits étangs séparés par des digues naturelles que recouvrent des tamaris bas et qu’entourent des roseaux peu élevés. Le pays est plat, sableux et sans arbres. Il y a des milliers de canards, de hérons, d’oies, de cormorans et d’autres oiseaux aquatiques ; nous nous promettons une bonne chasse