Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le 9 décembre, nous passons l’Amban-Ashkan-davan et redescendons dans la grande plaine du lac qui ne se gèle pas. Derrière nous s’étend, en travers, la chaîne des monts Columbo, dont les roches granitiques, de couleur rose, sont veinées de noir.

Les traces des chameaux mogols se dirigent vers le sud. Nous allons essayer de les suivre. Nous nous arrêtons auparavant un jour pour renvoyer nos chasseurs avec leurs ânes.

Avant de nous séparer d’eux, nous leur donnons quelques lettres qu’ils feront parvenir à Korla, d’où elles seront envoyées en Russie. C’est un dernier adieu à nos familles et au monde civilisé. Les reverrons-nous jamais ?

Nous ne restons plus que quatorze, décidés à nous lancer tête baissée dans l’inconnu. Les cartes n’ont plus rien à nous enseigner, elles deviennent muettes sur les régions où nous nous proposons de pénétrer. Cette fois, c’est bien l’inconnu avec sa séduction si pleine d’attraits !

Pendant un mois, nous allons suivre les traces des chameaux mogols et faire un vrai travail de limiers ; nous devions regarder constamment par terre, relever les moindres indices, chercher les places des anciens campemens. La tâche est difficile : le vent a soufflé depuis le passage de la caravane, et parfois, sur de longs parcours, les pieds des animaux n’ont laissé aucune empreinte. Mais aussi, à la longue, nous devenons forts sur cet exercice. Nous lisons par terre comme dans un grand livre, nous y voyons dans quel sens les animaux marchaient, s’il y avait des yaks avec les chameaux ; on évalue leur nombre, et, lorsque Timour, le chercheur d’or, revient au camp, tirant avec émotion de son sein quelques crottes rondes, nouvelles pièces à conviction, on se rend aussitôt compte de l’état d’épuisement des animaux qui les ont produites. En dépit de cette science si péniblement acquise, nous finissons un beau jour par perdre la route et, après des recherches infructueuses, force nous est de marcher à la boussole. Nous allons au sud, obliquant plutôt vers le sud-ouest, quand un obstacle nous arrête, et, tous les soirs, aussitôt arrivés à l’endroit choisi pour le campement, chacun de grimper sur une hauteur pour reconnaître la route du lendemain et voir ce qu’il y a de l’autre côté. Au retour, on s’interroge : « Qu’avez-vous vu ? Quoi de nouveau ? »

L’aspect général du pays varie. D’immenses plateaux se soulèvent parfois en dos d’ânes, orientés de l’est à l’ouest, portant un paillasson jaune, d’un jaune sale, uniforme ; parfois une crête rocheuse dentelée se dresse au sommet de ces collines comme un mur élevé de main d’homme. Ailleurs, l’herbe est couverte d’énormes blocs de lave tout noirs, pressés les uns contre les