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nous restons parfois quinze et seize heures à cheval ; une pluie continuelle nous glace ; la nourriture est peu abondante, et nous devons ordinairement nous contenter de zamba et de thé. Nous sommes plus fatigués que jamais, et nous avons soif de prendre du repos.

A Tatsien-lou, nous sommes reçus à bras ouverts par la mission française du Thibet ; voilà dix mois que nous n’avons pas rencontré d’Européens. Quelle joie pour nous de constater qu’à la frontière du Thibet, comme partout où il y a du danger, nos compatriotes sont aux premiers postes. Il leur faut un courage et une abnégation admirables pour affronter les dangers auxquels expose continuellement une situation si difficile dans des pays lointains, et rester quand même. Les missionnaires français savent que, quand un des leurs tombe sur la brèche, dix se disputent aussitôt l’honneur de prendre la place dangereuse.

C’est auprès de ces hommes que nous allons passer un mois ; nous sommes épuisés, affaiblis, incapables de repartir immédiatement. Tatsien-lou nous offrira des ressources que nous ne trouverions pas ailleurs ; nous y avons en abondance la viande de bœuf, les pommes de terre, que nous n’avons pas vues depuis la Russie, le lait et le beurre. Les missionnaires nous donnent du pain qu’ils font faire à l’européenne ; ils mettent à notre disposition du vin qu’ils ont pour les malades, ils n’en boivent pas eux-mêmes ; ils sont trop pauvres et ont trop de difficultés à le faire venir. Nous nous nourrissons bien, et peu à peu les forces reviennent. Mais ce ne sont pas les repas seuls qui nous remettent, ce sont surtout les longues causeries où le doux son de notre langue natale remplace l’affreux jargon auquel nos hommes nous ont habitués ; en un mot, nous revivons à l’air de France, venant souffler jusque dans ces contrées perdues.

Et qu’on ne m’accuse pas ici de sentimentalité inutile ! J’en appelle à tous ceux qui sont restés plus de six mois loin de leur pays sans aucune nouvelle.

Notre premier soin est d’expédier un courrier à Tcheng-tou, afin de porter un télégramme. Il y a sept mois que nous n’avons pu faire parvenir de nouvelles à nos familles et à nos amis ; nous ne comprenons que trop leurs inquiétudes et nous avons hâte de les rassurer.

En dehors du temps consacré à écrire des lettres et à parcourir les journaux, nous profitons de notre séjour à Tatsien-lou pour compléter nos renseignemens sur le Thibet ; nous interrogeons les missionnaires, nous questionnons les gens du pays. La ville elle-même nous offre un champ d’études bien intéressant ; c’est un centre de