Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la reine parvinrent à Naumbourg. On n’avait pas encore affronté ni même aperçu l’ennemi, et pourtant la confusion était déjà dans les états-majors et le découragement dans les troupes.

L’arrivée de Frédéric-Guillaume n’était guère faite pour remédier à ces dispositions morales. L’ignorance où l’on était encore de la marche des Français et du point où il les fallait attendre lui causa tout d’abord une inquiétude extrême.

Il passait des journées entières, — des journées dont chaque minute était précieuse, — à tenir conseil, remettait vingt fois en délibération les mesures les plus urgentes, n’osait prendre parti ni pour la tactique d’expectative proposée par le duc de Brunswick, ni pour la marche en avant réclamée par le prince de Hohenlohe, opposait à chaque avis nouveau une objection nouvelle, ne tranchait rien, mais contrariait tout et paralysait ainsi l’attaque aussi bien que la défense. Ou bien, hors du conseil de guerre, se retrouvant avec ses ministres civils qu’il avait emmenés, il se demandait si l’attente d’une dernière offre d’arrangement n’était pas l’explication de la lenteur inaccoutumée de Napoléon à engager les opérations, et il cherchait encore à entamer des pourparlers diplomatiques.

Mais quand le malheureux combat de Saalfeld, où le prince Louis-Ferdinand trouva la mort, l’eut définitivement éclairé sur les véritables intentions de son adversaire, sur l’irrémédiable nécessité, sur la pressante et terrible réalité de la guerre, il tomba anéanti, dans une prostration d’où ni ses généraux, ni ses conseillers favoris ne pouvaient le tirer.

À cette heure où les plus graves décisions s’imposaient, où l’armée affolée par la soudaineté d’un premier échec cherchait autour d’elle à qui se rallier, il restait enfermé dans le château de Weimar, condamnant sa porte, en proie à la plus morne douleur et aux plus sombres pressentimens.

Alors ce fut la reine qui sortit et se montra aux troupes. Sur les routes, à travers les bivouacs et les cantonnemens, du plus loin qu’on apercevait sa robe blanche, on l’acclamait. Souriante encore dans sa fière beauté, relevant d’un mot, d’un geste heureux les esprits abattus, inspirant à tous une confiance qui déjà n’était plus dans son cœur, elle passait, et quelque chose de l’âme de la patrie semblait passer avec elle. Cette noble figure de femme attirait ainsi sur elle les regards que son triste époux aurait mal soutenus et sauvegardait en les personnifiant les traditions militaires de la maison royale de Prusse.

Cependant, l’heure critique approchait. Le 12 octobre, au soir, alors qu’on croyait encore avoir les Français au loin devant soi, on apprit soudain à Weimar qu’ils étaient maîtres déjà du cours de la Saale bien au-delà et en arrière des lignes prussiennes et que le